EtudierĂ la facultĂ© de MĂ©decine. La diversitĂ© des Ă©tudiants et de leurs parcours est lâune de nos richesses. Sorbonne UniversitĂ© sâengage pour la rĂ©ussite de chacun de ses Ă©tudiants et leur propose une large offre de formations ainsi quâun accompagnement adaptĂ© Ă leur profil et Ă leur projet.
Mettonstout de suite fin au suspense : la moyenne gĂ©nĂ©rale obtenue au baccalaurĂ©at par les Ă©tudiants en Ă©cole dâingĂ©nieurs (post-bac et post-prĂ©pa tout confondu) est de 15,24. On constate que
Quelbudget pour un Ă©tudiant Ă Paris ? Selon le syndicat Ă©tudiant UNEF, suivre ses Ă©tudes dans la capitale aurait un coĂ»t qui dĂ©passe les 1.200 euros par mois. Une tendance qui ne va pas Ă la baisse. En 2020, alors que lâaugmentation Ă l'Ă©chelle nationale Ă©tait mesurĂ© Ă 3,69 %, celle de Paris atteignait les 12%.
lannée derniÚre j'étais à l'université de bourgogne, cette année à la sorbonne nouvelle paris 3. juste un formulaire de validation d'acquis a remplir que tu peux trouver facilement sur le site
Objet: lettre de recommandation pour (nom de l'étudiant) Madame, Monsieur, Professeur à (indiquer le nom de l'établissement), j'ai eu l'occasion de compter parmi mes élÚves Madame (ou Monsieur) (préciser le nom de l'étudiant(e)) entre 20XX et 20XX (indiquer années).
garela plus proche de l accor hotel arena. langage informatique mots fléchés; musique triste demain nous appartient; buste de marianne; pourquoi l'alliance renault nissan; wolfram animal crossing; combien de moyenne pour assas
SvC4. Vie PratiqueScolaritĂ©, Ă©ducation10 rĂ©ponses /Dernier post 11/06/2011 Ă 1602Hhaj62qy09/06/2011 Ă 1105Bonjour,Ma question peut sembler bĂȘte ou peut-ĂȘtre a-t'elle Ă©tait dĂ©jĂ posĂ©e mais je voulais savoir comment fonctionner le systĂšme de mention Ă la fac je suis Ă paris 1 sorbonne et plus particuliĂšrement en Ă©conomie ?VoilĂ merci d'avance đ Your browser cannot play this video. -m24pe09/06/2011 Ă 1358J'imagine que c'est le "schĂ©ma" classique. Si t'as obtenu une moyenne supĂ©rieure Ă 12 sur tes deux semestres tu obtiens AB, <14 B, etc. AprĂšs je suis pas sure du tout, c'est qu'une supposition đ je suis aussi Ă Paris 1 đCCat28xnl09/06/2011 Ă 1451Bonjour,Ma question peut sembler bĂȘte ou peut-ĂȘtre a-t'elle Ă©tait dĂ©jĂ posĂ©e mais je voulais savoir comment fonctionner le systĂšme de mention Ă la fac je suis Ă paris 1 sorbonne et plus particuliĂšrement en Ă©conomie ?VoilĂ merci d'avance đ Les mentions, c'est les mĂȘmes partout. Mention AB entre 12 et puis B entre 14 et etc....EEMI27ok10/06/2011 Ă 1648Moi je suis en L2 de psycho et je n'ai jamais entendu parler de mentions en fac ... peut etre est-ce parce que je n'ai jamais eu plus de 12 lol^^PPse27qf10/06/2011 Ă 1847Dans ma fac il prĂ©cise la mention quand ça aboutit Ă un diplĂŽme deug, licence....PublicitĂ©, continuez en dessousCCat28xnl11/06/2011 Ă 0830Moi je suis en L2 de psycho et je n'ai jamais entendu parler de mentions en fac ... peut etre est-ce parce que je n'ai jamais eu plus de 12 lol^^ đ đ đ En L1, y'a pas de L2 y'a une mention donnĂ©e au DEUG si la fac le dispense mention Ă la Licence est donnĂ©e en 3Ăšme annĂ©e. đ Ca doit ĂȘtre notifiĂ© dans ton contrĂŽle des connaissances đnever-ever11/06/2011 Ă 0953par contre je ne sais plus si c'est Ă©crit sur le diplĂŽme...Ddyn22fw11/06/2011 Ă 1042A Lyon 2, la mention est Ă©crite sur le diplĂŽme et se calcule grĂące Ă la moyenne des 3 annĂ©es de licence et pas seulement sur la licence 3.A l'Ecole du Louvre, ça n'est pas Ă©crit sur le diplĂŽme de premier cycle et ça se calcule sur la 3Ăš annĂ©e Ă vĂ©rifier auprĂšs de la fac!PublicitĂ©, continuez en dessousAawe24fe11/06/2011 Ă 1051Dans ma fac on a une mention pour chaque semestre xD de passable Ă trĂšs bien xDEEMI27ok11/06/2011 Ă 1602ok lol^^ je dormirai moins bete đVous ne trouvez pas de rĂ©ponse ?
lenniegaga Nouveau membre 1 2 Novembre 2009 1 Bonjour, j'aimerais savoir si la sĂ©lection pour entrer en 1ere annĂ©e de LEA Ă la Sorbonne Paris 4 est difficile, car j'ai appris qu'elle se faisait sur dossier. D'autre part j'aimerais savoir si les matiĂšres scientifiques comptent beaucoup je suis en s et quel moyenne/niveau faut-il avoir en langues. Merci d'avance 2 Novembre 2009 2 Bonjour Lenniegaga, moi aussi justement je voudrai commencer une licence LEA. Je pense que mon dossier est satisfaisant et j'espĂšre que le tien le sera aussi! En tout cas, ça serai bien qu'on ai rapidement des renseignements et des prĂ©cisions car la pĂ©riode des voeux et des inscriptions approche !! 1 Avril 2010 3 La licence LEA est avant tout une licence de langues, donc je ne pense pas que les matiĂšres scientifiques reprĂ©sentent vraiment un point dĂ©cisif dans l'Ă©valuation de ton dossier. Ceci Ă©tant, il y a tout de mĂȘme de l'Ă©conomie et de la gestion en LEA ; de ce fait, j'imagine que de bonnes notes en mathĂ©matiques peuvent ĂȘtre un atout. Je ne sais pas en revanche quelle est la moyenne minimum qu'il faut obtenir pour pouvoir ĂȘtre admis, cela dĂ©pendra des dossiers de tes concurrents. Dans le cas de la filiĂšre LEA, il y a une certaine sĂ©lection car peu de places pour beaucoup de demandes. De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, il est en tout cas certain qu'un bon niveau en langues sera exigĂ©. Je te souhaite bonne chance ! 3 Avril 2010 4 AprĂšs lecture de certaines interviews du directeur de Paris-Sorbonne, je pense que ce que recherche principalement cette universitĂ©, ce sont bien sĂ»r des Ă©tudiants globalement bons, mais surtout motivĂ©s, car il faut ĂȘtre sĂ»r qu'ils n'abandonneront pas en cours d'annĂ©e ni qu'ils Ă©choueront pour pouvoir continuer Ă faire briller le nom de la "Sorbonne". Donc un dernier conseil n'hĂ©site pas Ă faire preuve de ta motivation lors de la rĂ©daction de ton projet professionnel qui est Ă envoyer dans le dossier papier. 14 Janvier 2011 5 Bonjour, je souhaite faire une LEA Ă la sorbonne paris IV VoilĂ le problĂšme tout le monde dit que c'est trĂšs dur d'y rentrer et encore plus d'y rester .... est ce que c'est vrai pour toutes les LEA ou que pour celles des universitĂ©s dites "prestigieuses" ? J'ai des notes correctes voire bonne sauf en maths s Voici mes moyennes Philo Anglais Espagnol 16 Histoire/gĂ©o 15 SES 10 mais c'est totalement accidentel la je suis repassĂ©e Ă 17 et j'attends le prochain devoir pour avoir une moyenne maths 6 ... no comment ... spĂ© anglais EPS J'ai des bonnes apprĂ©ciations partout mĂȘme en maths parce que j'essaye de m'accrocher ... Sachant que j'ai de grandes chances d'avoir au moins 12 de moyenne en Ă©conomie au prochain trimestre, les maths ca restera bas je crois s a moins que quelqu'un ait une solution miracle ... J'aurais 3 lettres de recommandation des profs d'Ă©co, d'anglais et d'espagnol Vous pensez que ce sera suffisant pour ĂȘtre prise Ă la sorbonne en LEA ? Merci d'avance ! 6 14 Janvier 2011 6 C'est les trois trimestre de premiĂšres, seulement le premier trimestre de terminal et si tu as le BAC bien entendu avec mention qu'ils regardent en prioritĂ©. Les apprĂ©ciations comptent aussi Ă©normĂ©ment, ça a autant de valeur que les notes pour le jury. MĂȘme si tu as une moyenne globalement bonne voir trĂšs bonne mais que Ă cĂŽtĂ©, tes apprĂ©ciations sont "Attitude insolente", "ElĂšve pas motivĂ©, pourrait faire mieux" ça le fait pas. Sinon nono9395, je pense que tu as tes chances, mais bon je sais pas trop c'est pas moi qui dĂ©cide aprĂšs tout.
AccĂ©der au contenu Il existe 2 procĂ©dures dâadmission au CollĂšge de Droit la procĂ©dure principale destinĂ©e aux bacheliers ou Ă©tudiants nâĂ©tant pas dĂ©jĂ en licence de droit Ă Paris 1, et la procĂ©dure parallĂšle pour les Ă©tudiants inscrits dans cette derniĂšre, Ă lâissue de leur premiĂšre annĂ©e de licence. La procĂ©dure dâadmission principale Cette procĂ©dure concerne les lycĂ©ens sur le point dâentrer dans le supĂ©rieur, et les Ă©tudiants qui ne seraient pas inscrits en droit Ă Paris 1 souhaitant rejoindre le CollĂšge de Droit en premiĂšre annĂ©e. Lâinscription au CollĂšge de Droit de la Sorbonne se fait sur Parcoursup en parallĂšle de celle Ă la Licence de Droit de lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne et se dĂ©roule en deux phases afin de sĂ©lectionner les futurs Ă©tudiants dans la limite des capacitĂ©s dâaccueil du diplĂŽme. LâadmissibilitĂ© est dĂ©terminĂ©e par lâĂ©tude du dossier des candidats, au regard de lâexcellence du parcours scolaire et de leurs engagements et expĂ©riences personnels. AprĂšs cette premiĂšre Ă©tape a lieu la phase dâadmission, fondĂ©e sur un entretien avec des enseignants du diplĂŽme, visant notamment, mais pas exclusivement, Ă mieux cerner la personnalitĂ©, les compĂ©tences et la motivation du candidat. Les Ă©tudiants admis au CollĂšge de Droit sont de fait Ă©galement admis Ă la Licence de Droit de lâUniversitĂ© Paris 1 PanthĂ©on-Sorbonne. [Guide de candidature sur Parcoursup] La procĂ©dure dâadmission parallĂšle Cette derniĂšre concerne les Ă©tudiants en premiĂšre annĂ©e de la Licence de Droit de lâuniversitĂ© Paris 1 ayant obtenu dâexcellents rĂ©sultats acadĂ©miques, suivant les valeurs mĂ©ritocratiques que promeut le CollĂšge de Droit de la Sorbonne. Ces Ă©tudiants peuvent candidater en contactant par courriel le CollĂšge de Droit, et peuvent directement rejoindre en deuxiĂšme annĂ©e le diplĂŽme, dans la limite des places disponibles, et au regard de leur dossier universitaire et dâun potentiel entretien dâadmission. Les droits dâinscription annuels sâĂ©lĂšvent Ă 479 euros. Les boursiers retenus sont entiĂšrement exonĂ©rĂ©s du paiement de ces droits. Quelques statistiques sur les admis
sooooooooooooo Nouveau membre 1 28 AoĂ»t 2010 1 Bonjour, je souhaiterais Ă©tudier dans un an Ă la sorbonne. Quel niveau/moyenne est requis pour ĂȘtre accepter? Notes premiĂšre/terminale? 29 AoĂ»t 2010 2 Il y a pas de note limite pour y rentrer. Tout dĂ©pend de la demande fait chaque annĂ©e. Les places sont limitĂ©es, donc essaye de faire parti des meilleurs de ta classe, en ayant une bonne moyenne, bonne attitude durant toute l'annĂ©e. Et tente ensuite d'aller Ă la sorbonne. Bonne continuation, mais normalement si tu n'es pas mauvais Ă©leve, tu peux dĂ©jĂ penser y ĂȘtre. sooooooooooooo Nouveau membre 3 29 AoĂ»t 2010 3 Merci beaucoup pour ta rĂ©ponse. Ils prennent en compte l'annĂ©e de premiĂšre et terminale ou seulement de terminale? 5 29 AoĂ»t 2010 5 Oui, les deux sont importante.
Guerre et action humanitaireBrunet JĂ©rĂ©my, Quand la Grande Guerre sâinvite Ă Brive, 1914-1917 histoire de deux hĂŽpitaux de lâarriĂšre, Limoges, Presses universitaires de Limoges, 2014, 514 p., 25 âŹ1Cet ouvrage est issu dâun mĂ©moire de master dirigĂ© par Clotilde Druelle-Korn UniversitĂ© de Limoges, soutenu en 2010 et qui a lâenvergure dâune thĂšse nouveau rĂ©gime, fondĂ©e sur une connaissance fine de lâhistoriographie de la Grande Guerre. Lâauteur Ă©tudie lâhistoire du dĂ©pĂŽt de blessĂ©s de la caserne Brune utilisĂ© de septembre 1914 Ă janvier 1915 et de lâhĂŽpital du collĂšge Cabanis de Brive qui prend le relais jusquâĂ la fin 1917, accueillant prĂšs de vingt mille patients, Ă prĂšs de 90 % des fantassins. Ă travers une approche dâhistoire locale, lâauteur met en perspective, dâune façon trĂšs claire et prĂ©cise, lâorganisation du dispositif de soins Ă©tablie dans lâurgence au dĂ©but de la guerre et son adaptation au cours du conflit. Cet apport essentiel de lâouvrage illustre le bon usage que lâon peut faire des dossiers dâarchives conservĂ©s au Service des archives mĂ©dicales et hospitaliĂšres des armĂ©es Ă Limoges. LâĂ©tude sĂ©rielle rĂ©alisĂ©e Ă partir des registres de la statistique et de dossiers conservĂ©s au Val-de-GrĂące est bien Ă©clairĂ©e par la prĂ©sence de nombreux graphiques, cartes et schĂ©mas. 2JĂ©rĂ©my Brunet sâest Ă©galement intĂ©ressĂ© aux consĂ©quences de la prĂ©sence de ces blessĂ©s sur la population civile en Ă©tudiant les sources conservĂ©es sur place presse, archives dĂ©partementales et municipales. Il met en valeur la mobilisation solidaire dâune population qui ressent comme un devoir moral de soutenir ces combattants. Un mouvement de solidaritĂ© se structurant lors des fĂȘtes charitables et patriotiques vient pallier les errements du Service de santĂ© dans les premiers mois de guerre. Cet Ă©lan sâessouffle dans la durĂ©e, tandis que sâeffrite le culte du blessĂ© dĂšs lors que se multiplient des cas de simulation de maladies pour demeurer loin des combats. Les signes de lassitude des civils apparaissent dĂšs lâautomne 1916 Ă lâoccasion de dĂ©bats concernant le maintien des hĂŽpitaux temporaires, ranimant les querelles religieuses dâavant-guerre. La fragilitĂ© de lâUnion sacrĂ©e sây rĂ©vĂšle. 3LâĂ©tude des diagnostics mĂ©dicaux permet de dresser le bilan des effets dâune guerre moderne sur les corps et les esprits broyĂ©s, tout en dĂ©crivant avec prĂ©cision le cheminement des blessĂ©s. Si le propos reste gĂ©nĂ©ral sur certaines pathologies, faute dâĂ©lĂ©ments statistiques disponibles, JĂ©rĂ©my Brunet avance des Ă©lĂ©ments intĂ©ressants en particulier sur lâĂ©puisement des combattants. Il montre ainsi que les diagnostics ne cessent de croĂźtre, passant de 4,5 % des entrĂ©es en aoĂ»t 1915 Ă 26 % en fĂ©vrier 1917. Le va-et-vient permanent entre la micro-histoire, lâhistoire locale et une approche gĂ©nĂ©rale du conflit et du Service de santĂ© fait de Quand la Grande Guerre sâinvite Ă Brive une Ă©tude fort rĂ©ussie qui donnera bien des clĂ©s de lecture Ă celles et ceux qui sâintĂ©ressent Ă la prise en charge des blessĂ©s de la Grande Guerre, du front Ă lâarriĂšre. 4StĂ©phane TisonFarrĂ© SĂ©bastien, Colis de guerre secours alimentaire et organisations humanitaires 1914-1947, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Histoire », 2014, 284 p., 20 âŹ5Nourri dâune importante bibliographie, principalement en langue anglaise, et fondĂ© sur une recherche en archives aussi bien en Suisse quâaux Ătats-Unis, lâouvrage de SĂ©bastien FarrĂ© ne rompt pas complĂštement avec une histoire institutionnelle dont lâauteur cherche Ă se dĂ©marquer. On y apprendra donc beaucoup sur le ComitĂ© international de la Croix-Rouge, dĂ©jĂ bien connu par les travaux de François Bugnion et de Jean-Claude Favez notamment, ou sur des organisations comme le Comittee for Relief in Belgium, prĂ©sidĂ© pendant la PremiĂšre Guerre mondiale par le futur prĂ©sident des Ătats-Unis, Herbert Hoover, le ComitĂ© international de coordination pour lâaide Ă lâEspagne rĂ©publicaine, lâUnited Nations Relief and Rehabilitation Administration UNRRA ou encore la Cooperative for American Remittances in Europe CARE. 6Cet ouvrage foisonnant traite de nombreux sujets, comme les relations des organisations Ă©tatiques avec les associations privĂ©es, celles du ComitĂ© international de la Croix-Rouge avec les Croix-Rouges nationales ou encore lâinternationalisation de lâaide humanitaire avec la crĂ©ation en 1943 de lâUNRRA qui connaĂźtra un bilan en demi-teinte du fait notamment de la lourdeur de ses charges administratives. On en retiendra toutefois deux idĂ©es principales. 7La premiĂšre idĂ©e force est la dimension industrielle que prend la livraison de colis alimentaires dĂšs la PremiĂšre Guerre mondiale. Rationalisation, taylorisation, standardisation, nationalisation, professionnalisation SĂ©bastien FarrĂ© utilise largement ce registre lexical pour dĂ©crire son objet. En effet, les effectifs explosent 750 employĂ©s au Joint War Comittee Ă Londres pendant la PremiĂšre Guerre mondiale ; presque 40 000 salariĂ©s Ă la Croix-Rouge britannique pendant la Seconde alors que le personnel du ComitĂ© international de la Croix-Rouge, dans le mĂȘme temps, passe de 57 Ă 5 000 dont 3 821 salariĂ©s. Les quantitĂ©s distribuĂ©es sont Ă©galement impressionnantes. Elles reprĂ©senteraient par exemple prĂšs de 60 % de la subsistance de certains groupes de prisonniers de guerre pendant la Seconde Guerre mondiale. Se dĂ©veloppe ainsi une vĂ©ritable Ă©conomie planifiĂ©e de lâhumanitaire, largement dominĂ©e par les Ătats-Unis, et qui sâappuie sur toutes sortes de savoirs experts, notamment des nutritionnistes, des comptables, des spĂ©cialistes des transports pour calculer les besoins des prisonniers ou des populations civiles et organiser la meilleure maniĂšre de les satisfaire. 8La seconde conclusion est la permĂ©abilitĂ© de lâaction humanitaire Ă lâaction politique, que lâon mesure avec les exemples de lâagence gouvernementale amĂ©ricaine American Relief Administration créée en 1919 pour secourir les enfants des pays de lâEst dans le but avouĂ© de faire Ă©chapper ceux-ci Ă la menace rĂ©volutionnaire ou, a contrario, avec le ComitĂ© international de coordination pour lâaide Ă lâEspagne rĂ©publicaine, constituĂ© sur une base beaucoup plus militante et qui rompt avec les modes traditionnels dâaction des sociĂ©tĂ©s charitables. 9Jean-Pierre Le CromHobson-Faure Laura, Gardet Mathias, Hazan Katy et Nicault Catherine dir., LâĆuvre de secours aux enfants et les populations juives au xxe siĂšcle, Paris, Armand Colin, Recherches », 2014, 320 p., 28 âŹ10En 2012, lâObshchetsvo Zdravookhraneniya Yevreyiev OZE, créée Ă Saint-PĂ©tersbourg pour aider les populations juives russes et devenue plus tard Ćuvre de secours aux enfants OSE, fĂȘtait son centenaire. Cet ouvrage collectif, fruit de deux colloques tenus cette mĂȘme annĂ©e, se propose de renouveler notre comprĂ©hension dâune organisation dont lâexceptionnelle longĂ©vitĂ© et le parcours font un objet dâĂ©tude saisissant et complexe. En souhaitant jeter les premiĂšres bases dâune histoire internationale et transnationale de lâOSE » p. 14, ce livre tend Ă rééquilibrer une historiographie encore trop centrĂ©e sur lâEurope de lâOuest, en particulier sur la France. 11Lâouvrage, surtout dans sa premiĂšre partie, est donc rĂ©solument tournĂ© vers lâEst, sâattachant Ă restituer les origines idĂ©ologiques de lâorganisation dans ses premiĂšres annĂ©es russes Michael Beizer et Gary Pozin, son travail en URSS depuis lâAllemagne Mikhail Mitsel et son implantation en Pologne Nadav Davidovitch et en Allemagne Daniela Gauding. Durablement marquĂ©e par lâhygiĂ©nisme social, lâOSE a contribuĂ© Ă sa diffusion et Ă son enrichissement dans ces pays ainsi quâen France Christine Garcette. 12La deuxiĂšme partie poursuit dans une perspective transnationale, en sâintĂ©ressant Ă lâhistoire bousculĂ©e » p. 295 de lâOSE et Ă ses dĂ©mĂ©nagements successifs vers Berlin et Paris Rakefet Zalashik puis vers GenĂšve et outre-Atlantique. On y dĂ©couvre ainsi lâhistoire inĂ©dite des mille enfants juifs qui ont rejoint les Ătats-Unis pendant la guerre Laura Hobson-Faure. En sâattardant sur les trajectoires individuelles des cadres de lâorganisation, en particulier celles, mĂ©connues, de Boris Tschlenoff Georges Weill et dâErnst Papanek Jean-Christophe Coffin, lâouvrage vient confirmer leur proximitĂ© avec des projets Ă©ducatifs novateurs Samuel Bouillon. 13La derniĂšre partie, dont la cohĂ©rence est moins Ă©vidente, traite dâaspects inĂ©dits de lâOSE et confirme la diversitĂ© de ses missions, son travail auprĂšs des mĂ©decins via lâEntraide mĂ©dicale en France Sabine Zeitoun, la trajectoire surprenante des enfants de lâOSE pris en charge par lâEntrâaide dâhiver du MarĂ©chal Fouzi Ghlis et son dĂ©veloppement au Maroc et en Tunisie Ariel Danan. Elle permet aussi dâapprĂ©hender lâĂ©volution des structures et des pratiques de lâorganisation dâune maniĂšre plus globale Mathias Gardet et Ă travers lâanalyse dâun programme de recherche sur le devenir des enfants Patrick DubĂ©chot. 14En ancrant lâhistoire de lâOSE dans celles de la mĂ©decine, des politiques sociales mais aussi de la vie juive dans les diffĂ©rents pays que lâorganisation traverse, lâouvrage atteint donc son objectif de faire ressortir la complexitĂ© dâune association juive ouverte sur le monde » p. 17. 15Antoine BurgardLe Crom Jean-Pierre, Au secours marĂ©chal ! Lâinstrumentalisation de lâhumanitaire 1940-1944, Paris, PUF, 2013, 343 p., 22 âŹ16Historien du droit, directeur de recherche au CNRS Ă Nantes, Jean-Pierre Le Crom poursuit dans cet ouvrage une Ă©tude de longue haleine sur les rapports de lâĂtat français avec le mouvement social et sur le passage de la philanthropie sociale Ă lâaction humanitaire. Il analyse ici en prioritĂ© lâaction dâune institution majeure de la France du MarĂ©chal, le Secours national. Ce dernier, fondĂ© en 1914, disparu Ă la fin de la Grande Guerre, a Ă©tĂ© reconstituĂ© par le gouvernement Daladier, puis transformĂ© par le marĂ©chal PĂ©tain. Il traite plus briĂšvement des autres acteurs de ce champ social la Croix-Rouge, les Assistants du devoir patriotique, issus du Parti social français PSF, et le ComitĂ© ouvrier de secours immĂ©diat COSI, organisme collaborationniste. 17Lâouvrage sâappuie sur une grande variĂ©tĂ© de fonds la malle PĂ©tain, des sĂ©ries peu usitĂ©es des Archives nationales, comme la sĂ©rie F/60 et les dossiers dâĂ©purations, des fonds dâarchives dĂ©partementales, des archives des associations. Difficiles dâaccĂšs pour la Croix-Rouge, les fonds du commissaire gĂ©nĂ©ral du Secours national quatre-vingts cartons sont conservĂ©s aux archives dĂ©partementales du Cantal. 18Avec lâOccupation, la France fait face Ă des besoins dâassistance considĂ©rables soutien aux millions de prisonniers, aux rĂ©fugiĂ©s cinq cent mille Ă la fin de lâannĂ©e 1940, aux sinistrĂ©s, aux blessĂ©s des combats et bombardements notamment. Par ailleurs, un appauvrissement gĂ©nĂ©ral se produit, frappant plus particuliĂšrement les vieillards, les enfants, les ouvriers, les internĂ©s des camps et des prisons, les juifs, etc. Si la Croix-Rouge, qui sâunifie en dĂ©but de pĂ©riode, a la prĂ©fĂ©rence des autoritĂ©s allemandes, câest bien le Secours national qui devient le principal acteur, lâĆuvre des Ćuvres ». Il se voit attribuer une triple mission assumer le monopole des appels Ă la gĂ©nĂ©rositĂ© publique ; subventionner les Ćuvres existantes ou prendre directement en charge des actions lorsquâil nây a pas de relais ; proposer la dissolution des Ćuvres non conformes, comme lâArmĂ©e du Salut ou les quakers. 19Le Secours national, dirigĂ© par Robert Garric, devient rapidement un Ătat dans lâĂtat, avec douze mille salariĂ©s et cinquante mille bĂ©nĂ©voles. Sa taille et son budget 3 % du budget national, sâapparentent Ă celle dâun ministĂšre. Ses ressources sont Ă 55 % publiques, auxquelles sâajoutent un pourcentage des gains de la loterie nationale, des produits de collectes, mais aussi des ressources plus douteuses, comme la vente des biens des Français dĂ©chus, tels les gaullistes ou les Rothschild, et la vente ou lâattribution de locaux de loges maçonniques. 20Par-delĂ cet intĂ©ressant Ă©tat des lieux de lâhumanitaire et la dĂ©monstration de lâimportance grandissante prise par le Secours national dans le domaine social, lâauteur traite longuement les aspects politiques de lâinstrumentalisation de lâhumanitaire. 21La concordance des valeurs du Secours national avec celles de la RĂ©volution nationale est patente enfant chĂ©ri du MarĂ©chal, placĂ© sous son haut patronage, il manifeste une prĂ©fĂ©rence familialiste, se mĂ©fie des femmes qui travaillent, prĂ©fĂšre les enfants des Ă©coles catholiques. Le cabinet de PĂ©tain lâutilise aussi comme instrument pour sa propagande interdite dans la zone occupĂ©e. Il ne manifeste pas dâopposition marquĂ©e Ă la collaboration avec les Allemands, comme le font les Assistants du devoir patriotique. 22Les nazis instrumentalisent aussi lâhumanitaire. Dans la zone occupĂ©e, le Secours dâhiver, surnommĂ© le secours dâHitler », est peuplĂ© de collaborationnistes, tout comme le ComitĂ© de secours immĂ©diat, qui vient en aide aux victimes des bombardements alliĂ©s. TrĂšs antisĂ©mite, financĂ© par lâamende dâun milliard sur la communautĂ© juive, il tient un discours plĂ©bĂ©ien. Marcel DĂ©at devenu ministre de la SolidaritĂ© nationale en 1944 prend la haute main sur les associations et les utilise pour lâĂtat milicien. 23Pour autant, lâauteur montre que les engagements et les actions des humanitaires sont complexes, brouillant les positions politiques. ConfrontĂ© aux consĂ©quences de lâOccupation, lâengagement humanitaire pousse Ă la compassion, Ă des rĂ©actions humaines face Ă la barbarie. Le Secours national vient en aide Ă tous prisonniers et juifs compris. Les parcours individuels se rĂ©vĂšlent sinueux, complexes, par-delĂ la notion de vichysto-rĂ©sistant. Tel directeur de maison sauve des enfants juifs, dâautres aident les personnes poursuivies et Michel DebrĂ© ou le syndicaliste Chevalme, eux, basculent dans la RĂ©sistance. Ici se manifeste lâemprise trĂšs forte de la tradition catholique, mais aussi un passage de la logique de la collaboration des classes Ă celle du sauvetage. Dans les organisations, on trouve ainsi Ă la fois des collaborationnistes et des rĂ©sistants. 24Ce livre tĂ©moigne du rĂŽle que jouent les guerres dans lâextension du social et, par-delĂ , du fait que les politiques sociales ne sont pas liĂ©es Ă un rĂ©gime politique. NĂ©s sous des rĂ©gimes dĂ©mocratiques, le Secours national se dĂ©veloppe dans un rĂ©gime autoritaire, puis devient lâune des sources des rĂ©formes sociales de la LibĂ©ration. La logique fonctionnelle de lâhumanitaire dĂ©passerait les fondements idĂ©ologiques de ses animateurs. Câest dire que lâauteur invite Ă se mĂ©fier des lectures simplistes. 25Gilles MorinPremiĂšre Guerre mondialeVuilleumier Christophe, La Suisse face Ă lâespionnage, 1914-1918, GenĂšve, Slatkine, 2015, 120 p., 22 CHF26Le petit ouvrage publiĂ© par Christophe Vuilleumier aux Ă©ditions Slatkine Ă GenĂšve Ă©tudie les affaires dâespionnage dont la Suisse fut le théùtre pendant la Grande Guerre. Issu dâune sĂ©rie dâarticles parus entre 2013 et 2014, ce travail donne Ă voir la portĂ©e dâun phĂ©nomĂšne dont on ne connaĂźtra vraisemblablement jamais prĂ©cisĂ©ment lâampleur. CentrĂ©, pour une large part, sur les activitĂ©s des services de renseignements allemands, il montre par ailleurs comment la mise Ă nue des faits dâespionnage par la presse helvĂ©tique a exacerbĂ© le climat de suspicion qui sâĂ©tait emparĂ© du pays sitĂŽt les premiers coups de canon. PlutĂŽt que dâentrer dans le dĂ©tail des quelque cent vingt affaires quâil a recensĂ©es au fil de ses investigations, lâauteur a prĂ©fĂ©rĂ© proposer un large panorama dâune histoire aux multiples possibilitĂ©s dâentrĂ©e Ă©conomique, diplomatique, militaire. Par-lĂ , il a balisĂ© des pistes qui, espĂ©rons-le, interpelleront les chercheurs, notamment ceux qui ont lâhabitude de privilĂ©gier les approches transnationales. Les cas de Hans Schreck, le chef du contre-espionnage allemand en Suisse p. 57-62 et dâAlexandre Parvus p. 66-68, rĂ©volutionnaire russe surtout connu pour avoir nĂ©gociĂ© avec lâAllemagne au moment oĂč LĂ©nine cherchait Ă rentrer en Russie, en sont des illustrations parmi dâautres. 27Le travail de Christophe Vuilleumier a Ă©galement ceci dâintĂ©ressant quâil Ă©voque, dans une logique visant Ă ouvrir au plus large la focale, le cas de Suisses gagnĂ©s Ă des actions dâespionnage. Retenons Ă ce titre lâexemple de FĂ©lix Malherbe, marginal suisse recrutĂ© en fĂ©vrier 1915 et dont les quatre tournĂ©es de renseignement Ă travers la France font lâobjet dâune description dĂ©taillĂ©e p. 27-31. SoudoyĂ© par les services de renseignements allemands alors quâil sortait de lâhĂŽpital de GenĂšve, Malherbe compte parmi ces Suisses qui, pouvant entrer librement sur le territoire français, y furent envoyĂ©s pour rĂ©colter des renseignements concernant le moral des populations, les prix des matiĂšres premiĂšres, le ravitaillement, les mouvements de troupes. Au-delĂ de lâĂ©tude de cas, tout Ă fait captivante au demeurant, câest surtout ce que lâhistorien donne Ă voir de lâinfiltration des belligĂ©rants par des ressortissants des pays neutres qui attire lâattention. Il semble quâil y aurait Ă cet endroit un champ particuliĂšrement porteur Ă investir, la thĂ©matique nâayant encore jamais donnĂ© lieu Ă une Ă©tude de fond sur la façon dont des ressortissants des Ătats neutres furent instrumentalisĂ©s Ă des fins dâespionnage. Les diffĂ©rents cas que Christophe Vuilleumier Ă©voque dans les pages suivantes p. 31-32 en donnent des gages supplĂ©mentaires. 28En dĂ©finitive, et mĂȘme si le lecteur reste souvent sur sa faim, cet ouvrage nâen demeure pas moins un instrument des plus utiles pour la synthĂšse quâil propose et, surtout, pour les perspectives quâil ouvre. 29Landry CharrierSalson Philippe, LâAisne occupĂ©e les civils dans la Grande Guerre, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 305 p., 19 âŹ30Ouvrage issu dâune thĂšse de doctorat trĂšs remarquĂ©e, soutenue en 2013 sous la direction de FrĂ©dĂ©ric Rousseau, LâAisne occupĂ©e les civils dans la Grande Guerre offre une plongĂ©e particuliĂšrement efficace dans le quotidien dâun dĂ©partement français sous lâemprise de lâennemi allemand entre 1914 et 1918. Membre du CRID 14-18, Philippe Salson propose une Ă©tude minutieuse, dĂ©taillĂ©e et extrĂȘmement bien documentĂ©e de la confrontation entre une population locale prise dans les tourments du conflit et des forces occupantes conditionnĂ©es par les impĂ©ratifs de guerre. Celle-ci sâarticule autour de quatre grandes parties les civils face Ă lâinvasion ; le choc Ă©conomique de lâoccupation ; le rapport Ă lâautoritĂ© allemande ; le contact avec les soldats allemands. De lĂ , Ă©mergent deux enjeux principaux. 31Le premier thĂšme rĂ©current concerne lâimage de lâennemi. DĂšs lâouverture des hostilitĂ©s se joue la construction identitaire de lâennemi, celui qui envahit le champ politique, social et intime local, celui Ă©galement honni pour ses atrocitĂ©s », imprimant la dynamique de nouvelles formes de violence. Celles-ci surprennent par leur variĂ©tĂ© traque des soldats cachĂ©s, rĂ©quisitions, pillages ou crimes, plus rares toutefois que ce quâen laisse entendre la rumeur. NĂ©anmoins, tandis que les tĂ©moignages des Ă©lites principalement dĂ©crivent des Allemands sâinstallant dans lâimprovisation jusquâau printemps 1915 puis de maniĂšre plus organisĂ©e ensuite, leur image se transforme peu Ă peu, notamment en raison de rapports individuels multiformes. Ceux-ci sont un mĂ©lange de subordination, dâĂ©changes dâĂ©gal Ă Ă©gal ou de relations affectives plus ou moins profondes. Se bĂątit alors une reprĂ©sentation de lâennemi beaucoup plus nuancĂ©e, dĂ©linĂ©ant une rĂ©alitĂ© complexe, dâautant plus que, dans le mĂȘme temps, le territoire national paraĂźt lointain, en raison de la cĂ©sure que marque le front. 32Le second thĂšme permet de mesurer lâapprĂ©hension de la guerre par les populations civiles et notamment les diffĂ©rentes attitudes dans un contexte dâoccupation encore mal connu. Lâauteur insiste avec justesse sur les multiples stratĂ©gies dâadaptation des Axonais, civils ou Ă©lus, notamment la pratique de lâesquive, aux formes variĂ©es, depuis lâinertie administrative jusquâĂ la fraude. Dans ce cadre, oĂč la figure du maire prend une nouvelle dimension, lâauteur nâĂ©lude pas la question des compromissions auprĂšs de lâennemi, mais il aborde plus particuliĂšrement celle de la rĂ©sistance, quâelle soit individuelle ou organisĂ©e. Surtout, les civils doivent faire face Ă un appauvrissement gĂ©nĂ©ral, source de difficultĂ©s et de souffrances, sâexpliquant en grande partie par les mutations de la structure socio-Ă©conomique, entre recompositions dans lâurgence et pĂ©nurie plus durable. InĂ©vitablement, corps physiques et corps social souffrent Ă©pidĂ©mies et mortalitĂ© redoublent, tandis que les clivages sociaux sâexacerbent visant profiteurs de guerre et responsables politiques. 33En dĂ©finitive, lâouvrage de Philippe Salson sâavĂšre trĂšs stimulant et remarquable. Outre le dĂ©cryptage dâun ordinaire de la guerre vĂ©cu par des acteurs divers, ce travail permet de saisir la multiplicitĂ© des violences de guerre, qui ne se limitent donc pas Ă la seule violence physique. En renversant la focale et par le biais dâune approche multiperspectiviste et multiscalaire Ă hauteur dâhumains, lâauteur dĂ©passe la simple description de lâĂ©branlement dâune sociĂ©tĂ© locale et de ses structures, prĂ©fĂ©rant montrer comment les populations, mais aussi les ennemis, sâadaptent Ă une situation nouvelle et inattendue, engendrant des relations tendues et complexes, alternant entre rĂ©sistance, sujĂ©tion et Ă©changes. Ainsi, dans la lignĂ©e du renouveau de lâhistoire sociale de la Grande Guerre, on dĂ©couvre ici les rouages qui construisent le champ social dans lâarriĂšre occupĂ©, tant entre Français quâavec lâennemi allemand. 34StĂ©phane Le BrasCrimes nazisBruttmann Tal, Auschwitz, Paris, La DĂ©couverte, RepĂšres », 2015, 128 p., 10 âŹ35Ce petit ouvrage, appelĂ© Ă devenir une rĂ©fĂ©rence, est Ă la fois trĂšs informĂ© et concis dans lâesprit de la collection. Il permet de comprendre le paradoxe qui Ă©rige Auschwitz en paradigme de lâunivers concentrationnaire et de la Shoah, du fait de son bilan effroyable 1,3 million de dĂ©portĂ©s dont 1,1 million de morts, et malgrĂ© son caractĂšre unique, puisque le lieu recouvrait Ă la fois un camp de concentration, un centre de mise Ă mort distinct, et un ensemble dâentreprises industrielles fonctionnant avec la main-dâĆuvre dĂ©tenue. Câest dire la nĂ©cessitĂ© de revenir Ă lâhistoire des diffĂ©rents sites composant le complexe dâAuschwitz-Birkenau, oĂč plusieurs politiques nazies sâentremĂȘlent rĂ©pression antipolonaise, colonisation allemande en SilĂ©sie reconquise les Polonais sont, Ă partir de juin 1940, les premiers dĂ©tenus du camp, dont la construction a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ©e par Himmler le 27 avril 1940 et politique antisĂ©mite les juifs arrivant massivement Ă partir du printemps 1942. 36La premiĂšre partie est consacrĂ©e au camp de concentration, Ă©difiĂ© dans la continuitĂ© des camps existants, tel Dachau, avec notamment le portail au-dessus duquel figurent les mots Arbeit macht frei » et le crĂ©matoire. La particularitĂ© dâAuschwitz est de ne cesser de se dĂ©velopper, Ă la suite de la dĂ©cision dâagrandissement prise par Himmler en mars 1941. Le camp abrite Ă partir de juillet 1941 des prisonniers de guerre soviĂ©tiques, premiĂšres victimes des gazages lors de lâopĂ©ration 14f14 en septembre 1941, des femmes Ă partir de lâĂ©tĂ© 1942 et des Tsiganes Ă partir de fĂ©vrier 1943. 37La deuxiĂšme partie est dĂ©diĂ©e au centre de mise Ă mort situĂ© Ă lâextĂ©rieur du camp. DĂ©veloppĂ© Ă partir de fĂ©vrier 1942, il dĂ©place le centre de gravitĂ© vers Birkenau, avec lâamĂ©nagement de la rampe des juifs » oĂč a lieu la sĂ©lection », la construction de deux nouvelles chambres Ă gaz et, liĂ©s Ă elles, ce qui est nouveau, quatre crĂ©matoires constituant la part visible de lâextermination, ce qui explique leur poids dans les reprĂ©sentations de la Shoah. Ici on aurait pu prĂ©ciser que la date de dĂ©cision de la Solution finale » au sens dâextermination de tous les juifs dâEurope ne fait pas totalement consensus entre historiens. Lâextermination des juifs de Hongrie quatre cent trente mille entre mai et juin 1944, soit un juif sur trois morts Ă Auschwitz confĂšre au processus un caractĂšre industriel. 38La troisiĂšme partie prĂ©sente enfin le complexe Ă©conomico-industriel liĂ© au camp. Le dĂ©veloppement de la ville, dont les entreprises bĂ©nĂ©ficient de la main-dâĆuvre dĂ©tenue aprĂšs la sĂ©lection », est insĂ©parable de la mise en valeur et de la colonisation de la Haute-SilĂ©sie, considĂ©rĂ©e comme partie naturelle de lâAllemagne. Il faut ici distinguer lâexploitation par la SS des dĂ©tenus dans la zone dâintĂ©rĂȘts » â plus de 50 % sont employĂ©s dans le fonctionnement du camp ou dans les fermes, usines et laboratoires de recherche de la SS Ă Rajsko â de lâimplantation dâindustries allemandes. Le complexe dâIG Farben initiĂ© dĂ©but 1941, mais aussi les usines de Krupp ou Siemens se servent des dĂ©tenus en les mĂȘlant Ă dâautres catĂ©gories de travailleurs salariĂ©s libres allemands, Ă©trangers sous contrainte Italiens, Français du Service du travail obligatoire, prisonniers de guerre Anglais. Auschwitz comptait trente-trois sous-camps en dĂ©cembre 1944. Lâextension maximale est atteinte Ă lâĂ©tĂ© 1944 avec entre cent trente mille et cent cinquante mille dĂ©tenus, soit un quart de la population concentrationnaire nazie. Les premiers transferts de dĂ©tenus commencent en juillet 1944, le camp Ă©tant Ă©vacuĂ© en octobre 1944. Quand le 27 janvier 1945 les troupes soviĂ©tiques atteignent Auschwitz, les Allemands ont dĂ©jĂ dynamitĂ© les structures de mise Ă mort. 39La qualitĂ© du livre vient aussi des choix dâencadrĂ©s tantĂŽt des extraits de tĂ©moignages aussi bien de bourreaux Rudolf Höss et dâautres plus inĂ©dits que de victimes celui dâun survivant du Sonderkommando employĂ© Ă vider les chambres Ă gaz, tantĂŽt des Ă©clairages sur les diffĂ©rentes populations, les langues ou les dessins du camp. Il manque un point sur les profils de surveillants SS, sur lesquels la TĂ€terforschung a beaucoup travaillĂ©. On regrette enfin que lâhistoire dâAuschwitz aprĂšs 1945 ne soit quâesquissĂ©e en conclusion avec un encadrĂ© sur la musĂ©ographie, alors que le site sâest affirmĂ© comme lieu de mĂ©moire Ă lâĂ©chelle internationale mais aussi comme objet dâhistoire et enjeu face aux nĂ©gationnistes. 40Marie-BĂ©nĂ©dicte VincentOrlowski Dominique dir., Buchenwald par ses tĂ©moins histoire et dictionnaire du camp et de ses kommandos, Paris, Belin, 2014, 560 p., 29 âŹ41Cet ouvrage publiĂ© par lâAssociation française Buchenwald-Dora se prĂ©sente sous la forme dâun dictionnaire thĂ©matique comportant trois cent soixante-treize entrĂ©es, prĂ©cĂ©dĂ© dâune courte prĂ©sentation historique du camp rĂ©digĂ©e par Dominique Durand, prĂ©sident de lâAssociation. On disposait dĂ©jĂ sur Buchenwald de lâĂ©tude dâOlivier Lalieu [1]. Ce livre est toutefois dâune autre nature Ćuvre dâun groupe de bĂ©nĂ©voles non professionnels, il reflĂšte donc le point de vue de lâAmicale française sur lâhistoire et la mĂ©moire du camp. 42La prĂ©sentation historique de Dominique Durand est trĂšs Ă©rudite. Ouvert Ă lâĂ©tĂ© 1937 sur la colline de lâEttersberg prĂšs de Weimar, Ă lâinitiative entre autres du Gauleiter Sauckel, Buchenwald appartient aux camps de la deuxiĂšme gĂ©nĂ©ration et devint Ă la fin des annĂ©es 1930, avec Sachsenhausen, le principal camp du centre de lâAltreich. Au dĂ©but de la Seconde Guerre mondiale, sa population sâinternationalisa rapidement. Puis elle se trouva mobilisĂ©e Ă partir de 1942 au service de lâeffort de guerre du Reich, avec en particulier la production des V2. Dora sâĂ©mancipa de la tutelle du camp de Buchenwald Ă lâautomne 1944 et devint le centre de la production. Lâanalyse du systĂšme concentrationnaire par lâauteur reste trĂšs traditionnelle. On peut certes lui reprocher de sous-estimer quelque peu le rĂŽle des phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques dĂšs lâouverture du camp Ă lâĂ©tĂ© 1937. Cependant, on ne fera pas grief au tĂ©moin-historien dâignorer les recherches rĂ©centes qui tendent aujourdâhui, en Allemagne, Ă privilĂ©gier la diversitĂ© des types de camps lâhistoire de la rĂ©pression sous le TroisiĂšme Reich ne sâĂ©crit plus Ă partir de la prise en considĂ©ration exclusive des seuls camps de concentration. 43Le dictionnaire occupe la majeure partie de cet ouvrage et documente des aspects trĂšs divers de la rĂ©alitĂ© concentrationnaire la vie quotidienne, les Ă©vĂ©nements importants de lâhistoire du camp, la pathologie concentrationnaire, la production de guerre, des documents importants, les mĂ©moriaux ou les associations de dĂ©portĂ©s. On trouvera aussi de nombreuses entrĂ©es sur les personnalitĂ©s liĂ©es Ă lâhistoire du camp, vĂ©ritable carrefour europĂ©en au sein du systĂšme concentrationnaire nazi. Les articles sur les communistes, comme FrĂ©dĂ©ric ManhĂšs et Marcel Paul, passent sous silence les violentes controverses qui ont divisĂ© les rescapĂ©s. Ils donnent une image globalement et sagement positive du rĂŽle des communistes dans la rĂ©sistance au nazisme Ă lâintĂ©rieur du camp. 44Cet ouvrage tĂ©moigne donc de la vitalitĂ© persistante de la mĂ©moire dans la constitution de lâhistoriographie française de la dĂ©portation. Prudent et bien documentĂ©, il ne contient cependant rien, a priori, qui puisse attiser lâattention sourcilleuse et critique des historiens. 45Michel FabrĂ©guetAly Götz, Die Belasteten Euthanasie, 1939-1945. Eine Gesellschaftsgeschichte, Francfort-sur-le-Main, Fischer, 2013 ; trad. fr., id., Les Anormaux les meurtres par euthanasie en Allemagne 1939-1945, trad. de lâall. par Tilman Chazal, Paris, Flammarion, 2014, 311 p., 22 âŹ46La renommĂ©e de Götz Aly en Allemagne tient, en partie, au rĂŽle pionnier quâil a jouĂ© dans la mise au jour des crimes mĂ©dicaux commis sous le TroisiĂšme Reich. Fondateur en 1983 dâun collectif dâhistoriens militants, BeitrĂ€ge zur nationalsozialistischen Gesundheits- und Sozialpolitik Contributions sur la politique sociale et sanitaire national-socialiste, maĂźtre dâĆuvre dâune dizaine de volumes, Aly est le principal artisan de la plaque commĂ©morative, rendant hommage aux quelque deux cent mille femmes, hommes et enfants tuĂ©s parce quâils Ă©taient handicapĂ©s ou jugĂ©s asociaux », Ă©rigĂ©e Ă Berlin en 1989. Depuis les annĂ©es 2000, il milite pour un mĂ©morial » honorant le nom de toutes ces victimes. Ce nâest pourtant que tardivement quâil a conçu lâidĂ©e dâun essai global sur le sujet, Die Belasteten que la traduction française rend, faute de mieux, par Les Anormaux, lassĂ© quâil Ă©tait de voir ses dĂ©couvertes dispersĂ©es dans de multiples publications collectives et articles de recherche, pillĂ©es par des collĂšgues indĂ©licats ; dans la postface, caustique, Aly pointe pas moins dâune quinzaine dâhistoriens. 47Pour lâessentiel, Les Anormaux rassemblent donc dâanciens travaux de lâauteur articles, textes de confĂ©rence, entiĂšrement repris et complĂ©tĂ©s. Dâune grande richesse, parfois labyrinthique, encombrĂ© de noms Götz Aly se fait un devoir de nommer la plupart des praticiens impliquĂ©s et des victimes, lâouvrage se propose de cerner les conditions sociales du meurtre des handicapĂ©s et des personnes jugĂ©es indignes de vivre. Lâhistorien analyse lâattitude des proches, lâenchevĂȘtrement des instances concernĂ©es, les rivalitĂ©s institutionnelles, le rĂŽle personnel de Hitler, qui se garde de laisser des traces Ă©crites de ses divers ordres dâassassinat, la responsabilitĂ© des mĂ©decins, gagnĂ©s Ă lâutilitarisme nazi Ă©liminer les bouches inutiles, mais le plus souvent mus par lâutopie dâune mĂ©decine idĂ©ale, et toute la gamme des victimes les aliĂ©nĂ©s adultes, les enfants lourdement handicapĂ©s, les asociaux », les tuberculeux, jusquâaux personnes ĂągĂ©es, Ă la fin de la guerre. 48Si lâextermination des aliĂ©nĂ©s et des enfants handicapĂ©s ne fut pas un processus secret, elle demeura soigneusement camouflĂ©e. Le nom officiel de lâinstitution criminelle situĂ©e TiergartenstraĂe 4 Ă Berlin abritant lâAktion T4 est la Fondation caritative des soins en institution » ; celui de lâorgane chargĂ© de la mise Ă mort des enfants anormaux » reçoit le titre anodin de ComitĂ© du Reich » plus de dix mille victimes au total. Par crainte des rĂ©actions de lâopinion publique, le fonctionnement de lâAktion T4 est dâune grande souplesse dĂšs quâun malade est rĂ©clamĂ© par sa famille, le processus dâĂ©limination le concernant est interrompu et il est rendu Ă celle-ci. En dĂ©finitive, la rĂ©sistance sociale au processus fut faible 80 % des proches, estime Aly, sâaccommodĂšrent de la disparition des victimes, lesquelles, dans le contexte de la guerre totale, reprĂ©sentaient une charge dĂ©cidĂ©ment trop lourde. 49Laurent JolyHaddad Lise et Dreyfus Jean-Marc dir., Une mĂ©decine de mort du code de Nuremberg Ă lâĂ©thique mĂ©dicale contemporaine, Paris, Ăd. VendĂ©miaire, 2014, 383 p., 20 âŹ50Fruit dâun colloque organisĂ© Ă Paris en 2011 rĂ©unissant des historiens et des spĂ©cialistes dâĂ©thique mĂ©dicale, ce volume comble un vide historiographique en France en embrassant Ă la fois lâĂ©tude des crimes commis par des mĂ©decins pendant la pĂ©riode nazie et celle de leur apprĂ©hension juridique aprĂšs 1945 par le Tribunal militaire international de Nuremberg, mais aussi lors du procĂšs des mĂ©decins » organisĂ© par les AmĂ©ricains entre dĂ©cembre 1946 et aoĂ»t 1947. Alexander Mitscherlich, qui assiste comme observateur mandatĂ© par lâordre des mĂ©decins Ă ce premier des douze procĂšs successeurs », note dans son compte rendu paru dans Die deutsche Zeitung que ces mĂ©decins, loin dâĂȘtre apolitiques comme ils le prĂ©tendent, ont au contraire interprĂ©tĂ© de maniĂšre trĂšs particuliĂšre leur serment dâHippocrate en privilĂ©giant non le bien-ĂȘtre individuel, mais celui soi-disant du corps politique dans son ensemble. Certes les AlliĂ©s nâont pas forgĂ© de concept unifiĂ© de crimes de guerre mĂ©dicaux », ni Ă©tabli de listes de suspects Ă juger pour un tel motif. NĂ©anmoins le verdict, qui refuse la principale ligne de dĂ©fense des inculpĂ©s selon laquelle leurs crimes ont Ă©tĂ© commis dans le cadre de la loi, conduit Ă formuler un code dâĂ©thique mĂ©dicale encore valable aujourdâhui. 51Ce livre fait prĂ©cisĂ©ment le lien entre cet hĂ©ritage et la rĂ©flexion Ă©thique contemporaine. Dans un premier temps, il rappelle les fondements thĂ©oriques » de la mĂ©decine nazie lâanthropomĂ©trie, le darwinisme, lâeugĂ©nisme. Puis il prĂ©sente des Ă©tudes de cas portant sur les expĂ©rimentations menĂ©es notamment Ă Auschwitz principalement les stĂ©rilisations forcĂ©es qui ont concernĂ© trois cent cinquante mille personnes dans lâensemble de lâAllemagne nazie, avec un lien clairement Ă©tabli entre les pratiques meurtriĂšres de Victor Brack utilisant les rayons X ou celles de Carl Clauberg, et la politique gĂ©nocidaire du rĂ©gime, mais aussi sur les opĂ©rations dâeuthanasie des handicapĂ©s ou sur la recherche mĂ©dicale conduite dans les instituts de la Kaiser-Wilhelm-Gesellschaft ainsi la virologie a-t-elle pu bĂ©nĂ©ficier dâimportantes subventions publiques et militaires, car elle pouvait servir des buts de guerre. Ces diffĂ©rentes pratiques ont Ă©tĂ© Ă©tiquetĂ©es aprĂšs 1945 comme pseudo-mĂ©dicales », une expression qui permet alors de distinguer la mĂ©decine dĂ©voyĂ©e dâune bonne » mĂ©decine, donc de dĂ©douaner lâessentiel du corps mĂ©dical allemand. Or lâapport rĂ©cent de lâhistoriographie est au contraire de montrer que des chercheurs et des mĂ©decins exempts au dĂ©part de toute idĂ©ologie avaient pu, au nom de lâintĂ©rĂȘt de la science, se mettre au service dâun systĂšme meurtrier ou en profiter pour faire carriĂšre. 52La troisiĂšme partie du livre est consacrĂ©e aux imperfections de lâapprĂ©hension judiciaire de ces crimes, envisagĂ©e tant du cĂŽtĂ© des bourreaux, la dĂ©nazification menĂ©e par les AlliĂ©s nâĂ©tant que modĂ©rĂ©ment relayĂ©e par la RFA et la RDA une fois entamĂ©e la dĂ©cennie 1950, que du cĂŽtĂ© des victimes qui sont loin dâavoir toutes pu bĂ©nĂ©ficier dâindemnisations au lendemain de la guerre. Annette Weinke explique quâen RFA, lâacquittement des mĂ©decins nazis ou leur condamnation Ă des peines lĂ©gĂšres devient la rĂšgle, car les procĂšs mobilisent comme tĂ©moins et experts des mĂ©decins ou des fonctionnaires ayant eux-mĂȘmes pu cautionner le rĂ©gime de Hitler. Quant Ă la RDA, aprĂšs le tournant du procĂšs de Waldheim en 1950, elle a aussi fermĂ© les yeux sur le passĂ© de mĂ©decins compromis mais qui acceptaient de collaborer Ă la construction du socialisme. Câest dans ce contexte quâil faut envisager lâhistoire de lâindemnisation des victimes retracĂ©e par Constantin Goschler. Ainsi la premiĂšre loi ouest-allemande de rĂ©paration en 1953 ne considĂšre-t-elle que les victimes du nazisme persĂ©cutĂ©es pour raisons raciales ou religieuses, des groupes entiers Ă©tant laissĂ©s de cĂŽtĂ© tels les homosexuels, les Tsiganes considĂ©rĂ©s par les nazis comme des asociaux » ou les victimes de stĂ©rilisations. Ce dernier sujet reste tabou en RFA pendant plusieurs dĂ©cennies. Le tournant a lieu dans les annĂ©es 1980, du fait du lobbying de plusieurs associations de victimes, en Allemagne comme Ă lâĂ©tranger, qui obtiennent progressivement des indemnisations de la RFA. Au cours des annĂ©es 2000, des descendants des victimes dâeuthanasie ont aussi pu faire entendre leurs voix. Ce point fournit une transition avec la derniĂšre partie du volume, en prise directe avec lâactualitĂ©, qui porte sur la portĂ©e de lâĂ©thique mĂ©dicale forgĂ©e aprĂšs Nuremberg en Allemagne comme dans dâautres pays, en France notamment. On comprend comment la connaissance des crimes du passĂ© peut nourrir la rĂ©flexion contemporaine sur des sujets complexes, en particulier la question fondamentale du consentement des malades en fin de vie. 53Si certains sujets abordĂ©s ici Ă©taient dĂ©jĂ connus, tous nâavaient pas encore Ă©tĂ© traitĂ©s dans des publications en langue française. Dâautres thĂšmes, comme lâhistoire de lâindemnisation des victimes, sont inĂ©dits. Câest dire lâimportance de ce volume comme passeur dâhistoriographies Ă©trangĂšres. Sa force vient aussi du lien Ă©tabli entre les crimes nazis et les hĂ©sitations et questionnements de lâaprĂšs-guerre. 54Marie-BĂ©nĂ©dicte VincentSorties de guerreGutiĂ©rrez Edward A., Doughboys on the Great War How American Soldiers Viewed their Military Experience, Lawrence, University Press of Kansas, 2014, 308 p., 34,95 $55Au moment de leur dĂ©mobilisation en 1919, les vĂ©tĂ©rans du Corps expĂ©ditionnaire amĂ©ricain reçurent de lâadministration un bref questionnaire sur lâunitĂ© dans laquelle ils avaient servi. Cependant, dans quatre Ătats, les questions furent plus prĂ©cises. Dans lâUtah et le Minnesota, on interrogeait aussi les anciens combattants sur leurs origines familiales, leur Ă©tat de service, les blessures reçues au combat. Dans le Connecticut et en Virginie, le formulaire, intitulĂ© Military Service Record, leur demandait mĂȘme dâexpliquer les raisons de leur engagement, de dĂ©crire leur expĂ©rience de guerre et comment elle avait changĂ© leur vie personnelle. Câest Ă partir de ce fonds documentaire exceptionnel de plusieurs dizaines de milliers de rĂ©ponses quâEdward GutiĂ©rrez a travaillĂ© sur le retour des soldats amĂ©ricains et leur regard rĂ©trospectif sur la PremiĂšre Guerre mondiale. 56Loin de lâimage traditionnelle, forgĂ©e notamment par Gertrude Stein qui dĂ©peignait les hommes de 1919 comme une gĂ©nĂ©ration perdue », câest-Ă -dire dĂ©sabusĂ©e et dĂ©sorientĂ©e, lâauteur souligne le sentiment du devoir accompli qui caractĂ©rise ces vĂ©tĂ©rans au sortir de la guerre. Dans cet effort de rĂ©interprĂ©tation, le risque Ă©tait grand de tomber dans lâexcĂšs inverse et dâoffrir une vision idĂ©alisĂ©e des motivations des doughboys les soldats amĂ©ricains de la Grande Guerre, comme ont pu le faire dâautres auteurs au sujet de la greatest generation ». GutiĂ©rrez parvient au contraire Ă nous proposer un portrait collectif relativement nuancĂ©, qui aurait sans doute gagnĂ© Ă des comparaisons avec dâautres pays. 57Son livre vaut aussi pour les milliers de tĂ©moignages exhumĂ©s qui lui donnent toute sa couleur. On suit les soldats amĂ©ricains depuis leur traversĂ©e de deux semaines de lâAtlantique, leur entraĂźnement, leur baptĂȘme du feu, lâArmistice, le retour au pays. Dans leurs rĂ©ponses au questionnaire, beaucoup de vĂ©tĂ©rans citent le cĂ©lĂšbre discours de Sherman en aoĂ»t 1880 la guerre, câest lâenfer », qui rĂ©sume selon eux leur expĂ©rience, notamment pour les deux tiers du Corps expĂ©ditionnaire ayant effectivement combattu. Au passage, les soldats afro-amĂ©ricains livrent leur vision dâune armĂ©e encore trĂšs marquĂ©e par la sĂ©grĂ©gation raciale et expriment des doutes sur les changements quâapportera lâaprĂšs-guerre. Peu prĂ©sente encore dans les questionnaires de 1919, lâamertume des vĂ©tĂ©rans se fait beaucoup plus sensible lors dâune nouvelle enquĂȘte menĂ©e auprĂšs des survivants par lâUS Army Military History Institute MHI au milieu des annĂ©es 1970. Sâestimant dĂ©savantagĂ©s par rapport Ă la gĂ©nĂ©ration suivante, celle du Bill, nombreux sont ceux qui expriment leur colĂšre, au soir de leur vie, Ă lâĂ©gard du gouvernement amĂ©ricain. Les vĂ©tĂ©rans de la PremiĂšre Guerre mondiale nâont reçu aucune aide », explique lâun dâeux, faisant Ă©cho aux accusations lancĂ©es par la Bonus Army en 1932. La situation Ă©tait bien diffĂ©rente Ă lâĂ©poque. Les droits des vĂ©tĂ©rans, câest pour ceux de la Seconde Guerre mondiale. » 58Bruno CabanesBogdan Henry, Le Kaiser Guillaume II dernier empereur dâAllemagne, 1859-1941, Paris, Tallandier, 2014, 320 p., 20,90 âŹ59Alors que lâhistoriographie prĂȘte attention au rĂŽle des dirigeants dans le dĂ©clenchement de la PremiĂšre Guerre mondiale [2], Henry Bogdan propose une nouvelle biographie de Guillaume II, dix ans aprĂšs la somme de Christian Baechler Guillaume II dâAllemagne, Paris, Fayard, 2003. Il cible le grand public, privilĂ©giant une approche chronologique et ne rentrant pas dans le dĂ©tail des dĂ©bats savants. Deux questions servent de fils conducteurs qui Ă©tait le Kaiser derriĂšre les images de propagande, les caricatures des contemporains et lâhostilitĂ© des premiers historiens ? Quel type de souverain voulait-il incarner entre monarchie de droit divin et monarchie constitutionnelle, alors quâil se disait attachĂ© aux besoins du peuple dans une Allemagne forte de soixante-sept millions dâhabitants en 1913 et devenue premiĂšre puissance Ă©conomique dâEurope ? 60Concernant la pĂ©riode prĂ©cĂ©dant lâaccĂšs au trĂŽne, Henry Bogdan insiste sur les consĂ©quences, pour le futur empereur, de son handicap liĂ© Ă sa naissance un bras estropiĂ©, lui ayant donnĂ© lâenvie de se surpasser face Ă la dĂ©ception de ses parents, Vicky, fille de la reine dâAngleterre, et le Kronprinz FrĂ©dĂ©ric. MalgrĂ© une Ă©ducation solide acquise auprĂšs dâun prĂ©cepteur, le pasteur Hintzpeter, dans un lycĂ©e humaniste Ă Cassel puis Ă lâUniversitĂ© Ă Bonn, complĂ©tĂ©e par une longue formation militaire Ă Potsdam, il manque au futur empereur, en dĂ©pit de ses voyages, un rĂ©el apprentissage de la diplomatie. Quand il arrive sur le trĂŽne le 15 juin 1888, Guillaume II a vingt-neuf ans pour lui et contrairement Ă son grand-pĂšre Guillaume I, le titre dâempereur allemand a plus dâimportance que celui de roi de Prusse. 61Le rĂšgne sâouvre par une impossible cohabitation » avec Bismarck nĂ© en 1815, Premier ministre et ministre des Affaires Ă©trangĂšres de Prusse depuis 1862. Les antagonismes gĂ©nĂ©rationnel et de caractĂšre se doublent dâoppositions sur la politique extĂ©rieure la question de lâalliance russe Ă maintenir selon Bismarck, alors que Guillaume II est surtout prĂ©occupĂ© par lâAutriche-Hongrie, dont les intĂ©rĂȘts sont menacĂ©s par la politique balkanique du tsar et sur lâattitude Ă adopter face au mouvement ouvrier. AprĂšs la dĂ©mission de Bismarck le 20 mars 1890, Guillaume II initie un nouveau cours » Ă lâintĂ©rieur levĂ©e de la lĂ©gislation antisocialiste et Ă lâextĂ©rieur Weltpolitik. Il sâentoure de conseillers aristocratiques, cibles des critiques de Bismarck, de la presse et plus tard des historiens le gĂ©nĂ©ral von Waldersee et le fameux cercle de Liebenberg autour de Philipp zu Eulenburg. Au plan institutionnel, Guillaume II renforce le rĂŽle des cabinets civils et militaires dĂ©pendant directement de lui, ce qui limite le pĂ©rimĂštre du chancelier et des ministres, considĂ©rĂ©s comme de simples exĂ©cutants de la volontĂ© impĂ©riale. Henry Bogdan note que si les pouvoirs de Guillaume II sont importants, il nâest pas pour autant un dictateur, car le Reichstag, Ă©lu au suffrage universel, vote le budget et les lois. De plus, lâempereur se dĂ©sintĂ©resse de la politique intĂ©rieure Ă partir de 1900 et se consacre Ă son domaine rĂ©servĂ© ». 62Henry Bogdan explique la Weltpolitik par la jalousie que Guillaume II nourrit face Ă lâAngleterre et Ă son empire et par une nostalgie de lâĂ©poque oĂč le Reich dominait lâEurope centrale. Le changement de lâĂšre wilhelminienne vient du fait que les initiatives coloniales sont reprises par lâĂtat et que lâempereur sâintĂ©resse personnellement au dĂ©veloppement de la flotte. Cependant, Guillaume II ne souhaite pas une guerre contre les puissances europĂ©ennes, dâoĂč ses reculades qui lui sont reprochĂ©es par les milieux militaristes lors des crises marocaines. Il est alors raillĂ© comme empereur de la paix ». La grande question est de savoir si Guillaume II a une responsabilitĂ© dans le dĂ©clenchement du conflit non, selon Bogdan, qui dissocie les origines de la guerre et la Weltpolitik. Une consĂ©quence de celle-ci est nĂ©anmoins de liguer lâAngleterre, la France et la Russie contre lâAllemagne. Henry Bogdan entend aussi dĂ©montrer le dĂ©sir de paix de Guillaume II pendant la PremiĂšre Guerre mondiale. Le Kaiser est trĂšs affectĂ© par lâattentat de Sarajevo, parce quâil entretient des liens personnels avec François-Ferdinand et sa femme. Tout en assurant François-Joseph du soutien allemand, il nâenvisage quâune guerre localisĂ©e et rapide contre la Serbie pour Ă©viter lâintervention de la Russie. Par la suite, les dĂ©cisions militaires sont le fait du haut commandement et Guillaume II ne remplit quâune fonction de reprĂ©sentation. Ă partir dâaoĂ»t 1916, il perd toute capacitĂ© dâinitiative. Contraint de signer la rĂ©forme constitutionnelle votĂ©e par le Reichstag le 28 octobre 1918 qui rend la monarchie parlementaire, il quitte Berlin le 29 octobre. Son abdication est annoncĂ©e par Max de Bade le 9 novembre. Guillaume II, lĂąchĂ© par les militaires, sâexile le 10 novembre aux Pays-Bas, oĂč il est protĂ©gĂ© contre lâextradition rĂ©clamĂ©e par les AlliĂ©s. Menant une vie simple, il est déçu par le courant monarchiste allemand et par Hindenburg, et se tient Ă distance des nazis, Ă lâinverse de ses fils. Ses obsĂšques Ă Doorn en juin 1941 nâĂ©meuvent personne. 63Cette conclusion amĂšne Ă sâinterroger sur la profondeur du sentiment dynastique au cours de la pĂ©riode. Le livre fournit hĂ©las peu de pistes. Les deux chapitres sur lâĂ©conomie et la sociĂ©tĂ© sont plus des tableaux que des arguments. Quels sont les liens rĂ©els entre lâempereur et son peuple ? Henry Bogdan note quâil nây a pas jusquâen 1914 de profonde remise en cause du rĂ©gime et que lâempereur est respectĂ©. On sâinterroge aussi sur la figure de substitution de Hindenburg comme succĂ©danĂ© dâempereur. Quelle Ă©tait au fond lâemprise de lâordre monarchique en Allemagne ? 64Marie-BĂ©nĂ©dicte VincentLuzzatto Sergio, Le Corps du Duce essai sur la sortie du fascisme, Paris, Gallimard, 2014, 368 p., 28 âŹ65Les morts sont gĂȘnants surtout lorsque que, de leur vivant, ils ont assumĂ© le pouvoir puis ont Ă©tĂ© assassinĂ©s par leurs opposants. Que faire du cadavre abhorrĂ© dâun cĂŽtĂ©, adorĂ© de lâautre ? Ă quelle gloire ou Ă quelle infamie doit-il ĂȘtre vouĂ© ? Pourquoi vit-il » Ă ce point dans les mĂ©moires, alors quâil nâest plus que dĂ©bris souillĂ©s ou morceaux de chair mutilĂ©s ? 66Le livre de Sergio Luzzatto sâinterroge de façon remarquable sur le corps du Duce ; au-delĂ de son thĂšme prĂ©cis, il apporte Ă lâanthropologie politique du corps et Ă nos rĂ©flexions sur la façon dont une sociĂ©tĂ© vit avec lâincarnation physique du pouvoir le corps une grande histoire qui nâa pas encore Ă©tĂ© complĂštement explorĂ©e. Il prouve aussi que lâhistoire ne peut sâĂ©crire, entre autres, sans celle des corps, tant dans leur matĂ©rialitĂ© historique, quâĂ travers le destin de leur dĂ©faite. De la façon dont est traitĂ© ce corps vaincu, on peut interprĂ©ter un morceau dâhistoire sociale et politique. Ici, il sâagit du Duce le 29 avril 1945, Mussolini qui avait fui, revĂȘtu dâune capote allemande, est assassinĂ© par des partisans communistes. Bien avant sa mort, il avait su utiliser son corps hĂ©roĂŻque et convalescent dĂ» Ă la guerre de 1914, et avait pu dresser son pouvoir fasciste, notamment grĂące Ă cette posture physique, glorieuse et charismatique. Le temps passant et la Seconde Guerre survenant, rĂ©sistants et communistes vont haĂŻr ce dictateur et lutter contre le fascisme. 67Une fois assassinĂ©, commence la vie de sa dĂ©pouille. En effet, il est pendu par les pieds, avec sa maĂźtresse Esplanade Loreto Ă Milan, au cours dâune effrayante mise en scĂšne. Dâabord inhumĂ© dans une fosse commune, son corps est cachĂ© dans un lieu secret un placard fermĂ© Ă clĂ© chez des Capucins. Ce nâest quâen 1957 quâil est rendu Ă sa famille. Pour saisir ce temps long oĂč la sociĂ©tĂ© italienne est incapable de gĂ©rer le corps du Duce, Sergio Luzzatto explique avec rigueur et un beau nuancier dâinterprĂ©tations comment cela est dĂ» au contexte particulier de lâĂ©poque. Dâune part, les nĂ©ofascistes survivent Ă la dĂ©faite et le Duce reste sacrĂ©. En 1952 en effet, beaucoup dâItaliens demeurent nostalgiques de sa prĂ©sence au pouvoir et figĂ©s sur son souvenir. Dâautre part, par crainte, la jeune RĂ©publique cache le corps dans un endroit sacrĂ©, afin quâaucun pĂšlerinage ne soit possible. 68Par ailleurs, une sorte de dĂ©fiance vis-Ă -vis de la rĂ©sistance empĂȘche que se construise une vĂ©ritable mĂ©moire des victimes, rĂ©sistantes et communistes, qui se sont opposĂ©es au fascisme. Le corps du Duce vaut mieux, pense-t-on, que tous les corps torturĂ©s, assassinĂ©s de ceux qui ont rĂ©sistĂ© au rĂ©gime. LâĂ©pisode de lâEsplanade Loreto reste traumatique pour les postfascistes et ne permet guĂšre que se mette en place une religion civile » Ă propos des combattants antifascistes. 69Pour mieux comprendre, Sergio Luzzatto rĂ©flĂ©chit parallĂšlement Ă ce qui arriva Ă la dĂ©pouille du leader socialiste Giacomo Matteotti, retrouvĂ©e en 1924, affreusement mutilĂ©e et dĂ©pouillĂ©e de ses organes gĂ©nitaux. Or pour les fascistes, le symbole Ă dĂ©truire Ă©tait le corps de Matteotti », Ă©crit-il. Il rapproche donc ces deux formes antinomiques et ressemblantes de deuil, qui opposent deux positions politiques inconciliables, et Ă©claire parfaitement quâil sâagit lĂ de combats politiques extrĂȘmes dans une pĂ©riode cruciale de lâhistoire. 70Cet Ă©pisode de 1924 nâexplique pas tout si le corps du Duce sâavĂšre ingĂ©rable, et cela jusquâen 1957, câest bien que la mĂ©moire du fascisme reste prĂ©gnante et active, et elle-mĂȘme difficile Ă enterrer. Les clivages politiques de lâaprĂšs-guerre sont dâune grande subtilitĂ© et expliquent en partie cette longue Ă©popĂ©e macabre. Lâessai de Sergio Luzzatto, fort convaincant, permet en outre de rĂ©flĂ©chir, en dehors mĂȘme du cas de Mussolini, Ă lâutilisation politique et historique, non seulement des corps mais des cadavres, dans bien des conflits passĂ©s ou prĂ©sents. Qui ne se souvient de mai 2011, oĂč les Ătats-Unis envoyait le corps dâOussama Ben Laden au fond des mers, pour quâaucune trace de celui-ci ne puisse ĂȘtre un lieu de rassemblement ? Sergio Luzzatto pourrait peut-ĂȘtre nous dire si ce geste spectaculaire, infini, a favorisĂ© la mĂ©moire ou lâoubli⊠71Arlette FargeMencherini Robert, La LibĂ©ration et les annĂ©es tricolores 1944-1947 Midi rouge, ombres et lumiĂšres, vol 4 Une histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-RhĂŽne de 1930 Ă 1950, Paris, Syllepse, 2014, 443 p., 25 âŹ72Cet ouvrage constitue le quatriĂšme opus de la sĂ©rie Midi rouge, ombres et lumiĂšres » initiĂ©e en 2004 par Robert Mencherini, spĂ©cialiste de lâhistoire sociale et politique des Bouches-du-RhĂŽne des annĂ©es 1930 Ă 1950 et responsable de la Provence pour le Dictionnaire biographique du Mouvement ouvrier. DĂšs lâintroduction, ce tome sâinscrit dans la continuitĂ© des prĂ©cĂ©dents, auxquels il est frĂ©quemment fait rĂ©fĂ©rence dans un appareil critique nourri. LâĂ©rudition de lâauteur se vĂ©rifie dans les quarante-deux pages de notes en fin de volume, assorties de quatorze pages de bibliographie, ainsi que du corpus important et variĂ© mobilisĂ©. 73En douze chapitres, Robert Mencherini parvient Ă livrer une haletante synthĂšse » mot quâil emploie lui-mĂȘme pour qualifier son travail des nombreux travaux, dont les siens, consacrĂ©s Ă la pĂ©riode 1944-1947. Si lâhistoriographie la plus rĂ©cente ainsi que ses controverses sont prises en compte, le volume sâapparente avant tout Ă un rĂ©cit de la LibĂ©ration et de ces annĂ©es dĂ©cisives, riche en anecdotes, en portraits un index prĂ©cieux permet aux lecteurs dâaller dâune biographie Ă une autre et enracinĂ© dans une gĂ©ographie prĂ©cise du dĂ©partement. La plume, fluide et alerte, laisse une impression de rĂ©el. Le cahier dâillustrations confirme, en quarante-huit planches, cette proximitĂ© avec le sujet. 74Le mĂ©rite de ce tableau foisonnant est de mettre en avant les spĂ©cificitĂ©s marseillaises et rĂ©gionales de cette pĂ©riode de la LibĂ©ration et de renaissance de la RĂ©publique, ici baptisĂ©e annĂ©es tricolores ». Tout dâabord, lâauteur rappelle la pĂ©nibilitĂ© de lâĂ©preuve subie par les populations. Pendant la guerre et jusquâen 1947, le ravitaillement est trĂšs insuffisant Ă Marseille, comme dans lâensemble du Sud-Est de la France. La population souffre, plus quâailleurs, de malnutrition et de carences. Par ailleurs, le rĂŽle stratĂ©gique de Marseille et de la Provence aprĂšs le dĂ©barquement de Normandie est soulignĂ©. Les troupes amĂ©ricaines sont stationnĂ©es Ă Calas ; et le port de Marseille, une fois les liaisons ferroviaires rĂ©tablies, sâavĂšre un soutien indispensable Ă la remontĂ©e de la vallĂ©e du RhĂŽne par les forces alliĂ©es. Autre originalitĂ© dâune rĂ©gion trĂšs industrialisĂ©e, la poussĂ©e autogestionnaire dans les entreprises y est plus radicale, plus ample et plus longue que dans le reste du pays. Enfin, lâouvrage sâinscrit Ă sa maniĂšre dans une histoire de la mauvaise rĂ©putation de Marseille. Mise sous tutelle avant la guerre, la ville inspire la mĂ©fiance Ă Raymond Aubrac, le commissaire rĂ©gional de la RĂ©publique, mais aussi et surtout Ă son successeur Paul Haag envoyĂ© par le gĂ©nĂ©ral de Gaulle avec pour mission dây remettre de lâordre. 75CĂ©line RegnardBadalassi Nicolas, En finir avec la guerre froide la France, lâEurope et le processus dâHelsinki, 1965-1975, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Histoire », 2014, 442 p., 23 âŹ76Le livre publiĂ© en 2014 dans la collection Histoire » des Presses universitaires de Rennes par Nicolas Badalassi, intitulĂ© En finir avec la guerre froide la France, lâEurope et le processus dâHelsinki, 1965-1975, est incontestablement majeur. MaĂźtre de confĂ©rences Ă lâUniversitĂ© de Bretagne-Sud, lâauteur livre une somme de quatre cent quarante-deux pages, toujours parfaitement lisible, sur la politique française et la ConfĂ©rence sur la sĂ©curitĂ© et la coopĂ©ration en Europe CSCE. Cet ouvrage sâappuie sur sa thĂšse de doctorat, qui a elle-mĂȘme reçu le prix DezĂšs en 2012. Il constitue un jalon dans le renouvellement de lâhistoriographie sur la guerre froide, mais aussi sur la politique Ă©trangĂšre française sous le gĂ©nĂ©ral de Gaulle, sous Georges Pompidou et sous ValĂ©ry Giscard dâEstaing. Nicolas Badalassi montre ainsi que la CSCE a Ă©tĂ© au cĆur de la politique de dĂ©tente menĂ©e par la France, mais quâelle a aussi jouĂ© indirectement un rĂŽle en matiĂšre de construction europĂ©enne. Les six chapitres peuvent ĂȘtre regroupĂ©s en deux grandes parties la premiĂšre suit un ordre chronologique, partant des annĂ©es 1960, pour arriver Ă la confĂ©rence dâHelsinki, en passant par les nĂ©gociations prĂ©liminaires. Les trois chapitres suivants traitent quant Ă eux de la CSCE dâun point de vue thĂ©matique le quatriĂšme chapitre aborde la question de la premiĂšre corbeille, le cinquiĂšme celle de la troisiĂšme corbeille, et le dernier chapitre, celle de la deuxiĂšme corbeille. Ă lâissue de ce travail, lâauteur montre que les Occidentaux ont rĂ©ussi Ă retourner le piĂšge tendu par lâURSS, et que la France a jouĂ© un rĂŽle majeur pour ce faire, quâil sâagisse de lâadjonction du terme de coopĂ©ration » Ă la confĂ©rence sur la sĂ©curitĂ© initialement proposĂ©e, ou de lâadoption dâun processus en trois phases, qui a permis dâobtenir des concessions de Moscou. 77Nicolas Badalassi sâinscrit Ă©galement dans le renouveau historiographique, en dĂ©montrant que la politique française tentait bel et bien de dĂ©passer le statu quo europĂ©en, contrairement Ă ce que pensait lâURSS, persuadĂ©e que la diplomatie française cherchait Ă le maintenir strictement aux dĂ©pens de la RFA. La France, quoi quâelle ait Ă©tĂ© un des derniers Ătats occidentaux Ă donner son accord entier au projet soviĂ©tique, en est devenue un des promoteurs les plus ardents avant son ouverture, puis un de ses acteurs les plus dĂ©terminĂ©s. Lâensemble des questions traitĂ©es par lâouvrage est ainsi considĂ©rable des frontiĂšres au principe de non-recours Ă la force, des relations avec les Ătats-Unis Ă celles avec la CEE. Lâinsistance de la France au sujet de la coopĂ©ration culturelle ou les limites inhĂ©rentes Ă la deuxiĂšme corbeille, enfin, inscrivent pleinement cet ouvrage dans un autre dĂ©bat majeur, celui de lâimpact quâa eu la CSCE sur lâĂ©volution de lâEurope de lâEst durant la dĂ©tente. 78Pierre BouillonSocialisme et communismeScot Jean-Paul, JaurĂšs et le rĂ©formisme rĂ©volutionnaire, Paris, Ăd. du Seuil, 2014, 361 p., 21 âŹ79Parmi les multiples publications qui se sont succĂ©dĂ© Ă lâoccasion du centenaire de lâassassinat de Jean JaurĂšs en 1914, une place particuliĂšre doit ĂȘtre faite Ă lâouvrage de Jean-Paul Scot. Il faut saluer son examen attentif des nombreux textes de JaurĂšs, dans une perspective de dĂ©gager les spĂ©cificitĂ©s dâune voie rĂ©formiste rĂ©volutionnaire ». Ă lâoccasion du centenaire, il sâagit du seul ouvrage de cette ampleur Ă aborder cette question de façon dĂ©taillĂ©e. 80Le titre de lâouvrage qui oppose deux termes durablement antagonistes dans lâhistoire du mouvement socialiste est volontairement provocateur ; lâhistorien entend ainsi réévaluer la synthĂšse jaurĂ©sienne entre des rĂ©formes graduelles dans le cadre du systĂšme capitaliste et une perspective rĂ©volutionnaire maintenue, dont atteste notamment sa rĂ©fĂ©rence constante Ă lâhĂ©ritage de la RĂ©volution de 1789. Jean-Paul Scot critique les approches faisant de JaurĂšs un apĂŽtre du rĂ©formisme politique minimisant les hĂ©ritages marxistes les luttes de classes comme un des grands principes explicatifs de lâhistoire et de la vie politique notamment. Lâauteur reste dubitatif au sujet de lâouvrage rĂ©cent de Jacques Julliard sur Les Gauches françaises [3], et on ne peut que partager son scepticisme dâhistorien rigoureux lorsquâil affirme quâ Ă trop abuser de la rĂ©fĂ©rence Ă la âgaucheâ, on ne fait que brouiller les concepts historiques » p. 197. Lâapplication de gĂ©nĂ©alogies rĂ©trospectives pose en effet un problĂšme majeur et lâouvrage est de ce point de vue une incitation Ă la rĂ©flexion sur les origines du Parti socialiste, mĂȘme si lâon ne partage pas toutes les analyses de lâauteur qui entend Ă©crire une contre-histoire du socialisme jaurĂ©sien ». 81Quelques points Ă©voquĂ©s mĂ©ritent en effet discussion. Si la formule JaurĂšs ou la fĂ©conditĂ© dâun dialogue constructif avec Marx » p. 340 peut se justifier, il paraĂźt en revanche excessif de dire que JaurĂšs est sans conteste, le meilleur connaisseur du marxisme en France avant 1914 » p. 341-342. Certes JaurĂšs est-il plus attentif Ă certains textes de Marx que dâautres marxistes comme les guesdistes, mais la proximitĂ© de Jules Guesde et de Paul Lafargue avec Karl Marx et avec Friedrich Engels aurait mĂ©ritĂ© un traitement plus dĂ©taillĂ©. Georges Sorel, une des figures dĂ©cisives de la discussion autour du marxisme de cette Ă©poque, comme lâa bien soulignĂ© AndrĂ© Tosel, est Ă peine mentionnĂ©. Plus gĂ©nĂ©ralement, Jean JaurĂšs est-il toujours la figure la plus intĂ©ressante au regard de la production des sociaux-dĂ©mocrates allemands et autrichiens de son temps ? MĂȘme si la lecture de ces derniers nâest pas toujours trĂšs aisĂ©e et parfois un peu aride, il semble quâune confrontation plus systĂ©matique aurait tendance Ă relativiser certaines originalitĂ©s de Jean JaurĂšs. Cependant, câest peut-ĂȘtre lĂ quâun nouveau chantier dâhistoire croisĂ©e doit sâouvrir et il faut saluer cet ouvrage qui y contribue largement, et dont la lecture sâavĂšre extrĂȘmement stimulante et indispensable pour tous ceux que lâhistoire du socialisme intĂ©resse. 82Jean-Numa DucangeDoizy Guillaume et Jarnier Jean-Luc, Jean JaurĂšs, apĂŽtre de la paix une vie en images, Paris, Hugo & cie, 2014, 223 p., 25 âŹ83Les publications sur Jean JaurĂšs ont abondĂ© durant lâannĂ©e anniversaire de 2014. Câest dans cette veine que sâinscrit lâouvrage de Guillaume Doizy et de Jean-Luc Jarnier. Les deux auteurs, spĂ©cialisĂ©s dans les cultures visuelles de la Belle Ăpoque et la caricature politique Guillaume Doizy, collectionneur et confĂ©rencier, est le fondateur du site Internet ont souhaitĂ© restituer le parcours du leader socialiste en passant avant tout par les images, que ces derniĂšres concernent JaurĂšs lui-mĂȘme ou plus largement son Ă©poque. Ils ont puisĂ© pour cela dans les fonds de certaines institutions le MusĂ©e dâhistoire vivante de Montreuil, le Centre national et musĂ©e Jean JaurĂšs de Castres et ont aussi recouru Ă des collections personnelles, les leurs en particulier. 84Il en ressort un ouvrage foisonnant, qui prĂ©sente les types iconographiques les plus variĂ©s cartes postales, gravures, photographies, dessins de presse, tout en retraçant les diffĂ©rentes facettes de la trajectoire et des engagements jaurĂ©siens lâenfance castraise, les annĂ©es de formation, la silhouette du tribun et du parlementaire dâun cĂŽtĂ© ; la construction dâun socialisme rĂ©publicain, les combats dreyfusards, ouvriers et pacifistes, le rapport Ă lâĂ©cole et Ă la laĂŻcitĂ©. Si les auteurs manifestent leur volontĂ© de sâappuyer surtout sur les images, ils se sont souciĂ©s de leur contextualisation, Ă travers la prĂ©sentation et la chronologie qui ouvrent chaque chapitre. Le livre constitue ainsi une dĂ©monstration supplĂ©mentaire de lâextrĂȘme richesse visuelle de la pĂ©riode, Ă lâheure des premiers pas de la culture de masse. Il atteste par ailleurs une nouvelle fois les controverses et les haines que Jean JaurĂšs a suscitĂ©es en son temps, bien loin de lâimage irĂ©nique quâen offre aujourdâhui un certain discours mĂ©diatique. 85On trouve donc un vrai plaisir Ă feuilleter lâensemble, mĂȘme sâil sây mĂȘle parfois quelques regrets. Les introductions aux diffĂ©rents chapitres sont classiques et participent Ă la sculpture de JaurĂšs comme type idĂ©al de lâhomme politique rĂ©publicain sans toujours aller plus avant on peut dâailleurs sâĂ©tonner que la bibliographie finale ne mentionne ni la biographie de Gilles Candar et Vincent Duclert, parue en fĂ©vrier 2014, ni le catalogue de lâexposition qui sâest tenue aux Archives nationales en mars 2014, JaurĂšs, une vie pour lâhumanitĂ© », mĂȘme si câest peut-ĂȘtre une question de dĂ©lai dâĂ©dition. En revanche, certains points plus rĂ©cemment explorĂ©s nâapparaissent pas ou sont traitĂ©s rapidement câest le cas du rapport de JaurĂšs Ă la culture de son temps ou de ses Ă©volutions sur le fait colonial. Cependant, lâexhaustivitĂ© Ă©tait ici certainement impossible. Le livre a dĂ©jĂ le mĂ©rite de prĂ©senter une documentation importante, avec un certain nombre dâimages originales, et dâinciter Ă continuer dâapprofondir la connaissance de JaurĂšs en son temps, du point de vue des Ă©crits mais aussi de la production iconographique. 86Marion FontaineParet Philippe, Le Communisme rural en Haute-Vienne, Limoges, Presses universitaires de Limoges, Rencontre des historiens du Limousin », 2014, 211 p., 20 âŹ87Dans son ouvrage issu dâun master de recherche rĂ©compensĂ© par le prix LĂ©movice 2014, Philippe Paret sâattache Ă expliciter les spĂ©cificitĂ©s du communisme rural en Haute-Vienne. Son Ă©tude court de la LibĂ©ration Ă la fin des annĂ©es 1960, pĂ©riode caractĂ©risĂ©e, selon lâauteur, par un vide historiographique sur la question du communisme rural le mĂ©moire de maĂźtrise de RĂ©mi Darfeuil, Le communisme rural en Haute-Vienne », nâest toutefois pas mentionnĂ© [4]. Il y reprend lâune des problĂ©matiques centrales de la thĂšse de Laird Boswell [5] comment le Parti communiste français, considĂ©rĂ© comme le parti de la classe ouvriĂšre, peut-il avoir une influence rurale ? Pour y rĂ©pondre, lâauteur dĂ©montre tout au long de son Ă©tude que le communisme rural en Haute-Vienne correspond Ă une culture politique particuliĂšre façonnĂ©e par les ruraux. 88Le Parti communiste est la force politique la plus active et influente de la Haute-Vienne dans lâimmĂ©diat aprĂšs-guerre, au moment oĂč le monde paysan commence Ă connaĂźtre de profondes mutations techniques et une peur du dĂ©clin qui se traduit notamment par lâexode rural. Selon Philippe Paret, lâinfluence du Parti communiste dans ce dĂ©partement ne passe pas par le recours aux structures traditionnelles du Parti, comme le dĂ©montrent lâactivitĂ© limitĂ©e de ses cellules et la faible mobilisation des militants locaux sur des sujets nationaux. Au contraire, elle sâĂ©tablit grĂące Ă lâimplantation des communistes dans les syndicats agricoles du dĂ©partement et au rĂŽle revendicatif endossĂ© par le Parti communiste sur des sujets chers aux paysans comme la dĂ©fense du statut du fermage et du mĂ©tayage de 1946. Le Parti communiste se place alors en premiĂšre ligne pour dĂ©fendre les petits exploitants haut-viennois en faisant appel Ă des rĂ©fĂ©rences contestataires anciennes et traditionnelles. Philippe Paret souligne aussi lâimportance du Parti communiste comme force de propositions pour accompagner les paysans dans la modernisation agricole ou comme acteur majeur pour recrĂ©er des sociabilitĂ©s au sein des villages. En retour, lâadhĂ©sion des paysans est lâexpression dâun idĂ©al de justice, tout en sâinscrivant dans une tradition politique de gauche spĂ©cifique au dĂ©partement depuis le 19e siĂšcle. 89LâĂ©tude menĂ©e par Philippe Paret rĂ©ussit Ă montrer que le communisme rural en Haute-Vienne est un objet politique original Ă la croisĂ©e du modĂšle communiste traditionnel dâune part, et des attentes ainsi que des usages du politique dans les campagnes dâautre part. Lâauteur expose de façon exhaustive les diffĂ©rentes facettes du Parti communiste dans le dĂ©partement. On peut toutefois regretter quâil nâait pas analysĂ© plus en profondeur les relations entre communistes et socialistes locaux connus pour leur anticommunisme virulent et leur influence politique majeure dans le dĂ©partement. 90Anna HihnPascal Pierre, Journal de Russie, 1928-1929, Ă©ditĂ© et annotĂ© par Jacques Catteau, Sophie CĆurĂ© et Julie Bouvard, Lausanne, Ăd. Noir sur Blanc, 2014, 767 p., 30 âŹ91NĂ© en 1890, Pierre Pascal, normalien et agrĂ©gĂ© de lettres modernes, sâest tĂŽt passionnĂ© pour la Russie oĂč il est parti dĂšs 1911 et 1912, puis en 1916, comme membre de la Mission militaire française. En 1918, fascinĂ© tant par le pays que par la RĂ©volution, il dĂ©cide de ne pas rentrer en France. Il rejoint le Parti communiste local, adopte la nationalitĂ© soviĂ©tique et demeure en URSS jusquâĂ 1933, travaillant dâabord pour lâInternationale communiste et pour le Commissariat du peuple aux Affaires Ă©trangĂšres, puis Ă lâInstitut du marxisme-lĂ©ninisme. Quatre tomes du journal quâil a alors rĂ©digĂ© ont Ă©tĂ© publiĂ©s, entre 1975 et 1982, aux Ă©ditions LâĂge dâHomme. Ils couvrent la pĂ©riode de 1916 Ă 1927, et le slaviste, mort en 1983, les a lui-mĂȘme expurgĂ©s et complĂ©tĂ©s avant publication. En revanche, les deux slavistes et lâhistorienne qui ont veillĂ© Ă la prĂ©paration de ce cinquiĂšme tome, jusque-lĂ inĂ©dit, se sont attachĂ©s Ă Ă©tablir lâĂ©dition la plus scientifique possible ». Leurs notes facilitent dâailleurs la lecture de ceux qui connaissent peu lâhistoire soviĂ©tique. 92Cet ouvrage est une source prĂ©cieuse un tĂ©moignage portĂ©, au jour le jour, sur les annĂ©es 1928-1929, qualifiĂ©es de grand tournant » dans lâhistoriographie. Staline vient dâĂ©carter ses principaux concurrents, Ă commencer par Trotsky dont les mĂ©saventures sont racontĂ©es, et il intensifie ses rĂ©pressions contre toute opposition ; le procĂšs de Chakhty se tient ; les dĂ©portations de koulaks » se multiplient. DĂšs lors, il est constamment question, dans ce cinquiĂšme tome, dâarrestations, dâexils intĂ©rieurs et dâexĂ©cutions. Les difficiles conditions de vie des dĂ©tenus sont signalĂ©es, tout comme les reniements au sein des familles. Non seulement Pierre Pascal rĂ©vĂšle la surveillance constante exercĂ©e par le GuĂ©pĂ©ou, la police politique, mais il dĂ©voile Ă©galement la vie presque impossible dâune sociĂ©tĂ© rĂ©duite, littĂ©ralement, Ă la famine par des dirigeants qui sâaccaparent dĂ©jĂ les privilĂšges matĂ©riels. En gĂ©nĂ©ral, dans les magasins, il nây a rien », note-t-il le 25 janvier 1928. Les salaires baissent, les prix augmentent, les magasins se vident en juin 1928, il nây a plus de pain blanc » Ă Moscou, et plus de pain du tout en Ukraine ; en septembre, le pain manque aussi dans la capitale. Soulignant le rejet de lâidĂ©ologie par les ouvriers comme par les paysans, Pierre Pascal signale des grĂšves il y en aurait eu trois cent trente, en deux ans, dans les seules usines dâĂtat ou coopĂ©ratives » et des rĂ©voltes dans les campagnes. Il constate les rĂ©pressions fĂ©roces contre ceux qui rĂ©sistent au pouvoir, ainsi que les vagues de suicides, comme seul moyen dâexprimer sa protestation ». Il dĂ©plore les destructions des Ă©glises et, constamment, rĂ©solument, relĂšve le mensonge gĂ©nĂ©ralisĂ©, les silences des journaux, la puissance de la censure et lâaveuglement de certains Occidentaux. Son dĂ©senchantement est total Câest tout le systĂšme qui est pourri, quâil faut changer. » 93CĂ©cile VaissiĂ©CĆurĂ© Sophie, Pierre Pascal la Russie entre christianisme et communisme, Lausanne, Ăd. Noir sur Blanc, 2014, 416 p., 25 âŹ94AprĂšs son retour de Russie en 1933, Pierre Pascal est devenu enseignant Ă lâInstitut national des langues et civilisations orientales Inalco, puis Ă la Sorbonne, et il demeure une figure mythique chez les slavistes non seulement il a Ă©tĂ© le tĂ©moin des premiĂšres annĂ©es soviĂ©tiques, mais ce savant a Ă©galement formĂ© toute une gĂ©nĂ©ration de russisants. Ce mythe est toutefois Ă©branlĂ© par cette biographie dans laquelle, analysant avec rigueur les Ă©crits de Pierre Pascal, Sophie CĆurĂ© dresse le portrait implacable dâun chrĂ©tien bourrĂ© de contradictions, qui, confrontĂ© au pouvoir soviĂ©tique, âmarchaâ sans exprimer dâĂ©tat dâĂąme », Ă©crit-elle. 95Avant 1917, Pascal, croyant fervent, est sĂ©duit par le tsarisme. Brusquement, lui qui rĂȘve de rendre vraiment la Russie catholique » se passionne pour la rĂ©volution et, devenu bolchevique sans rien connaĂźtre du marxisme ni avoir frĂ©quentĂ© aucun bolchevik », il Ă©crit prier pour LĂ©nine qui serait en un certain sens lâĂąme de lâĂglise ». Boukharine aura donc des raisons de parler de kacha mentale » au sujet de ce Français cherchant Ă concilier les inconciliables la Somme thĂ©ologique de saint Thomas dâAquin et Le Capital de Marx ». Pierre Pascal semble indiffĂ©rent aux rĂ©pressions, tant que celles-ci ne touchent pas ses proches. Le pouvoir Ă©tabli le déçoit, voire lâindigne, mais le slaviste se tait sauf dans son journal, se rĂ©fugiant dans ses travaux sur un schismatique du 17e siĂšcle. De retour en France, sâil fait habilement jouer ses rĂ©seaux pour obtenir un poste Ă lâUniversitĂ©, il garde le silence sur les crimes soviĂ©tiques, contrairement Ă ses amis Boris Souvarine et Victor Serge. Certes, lui qui a collaborĂ© avec la TchĂ©ka en 1919 et tĂ©moignĂ© Ă charge, en 1922, dans le procĂšs des socialistes rĂ©volutionnaires, se rapproche, au cours des annĂ©es 1950, de milieux anticommunistes, mais il nâintervient comme tĂ©moin des premiĂšres annĂ©es du pouvoir soviĂ©tique quâĂ partir de 1967. MĂȘme alors, il dit peu de chose, expliquant son dĂ©tachement du rĂ©gime, non par une indignation devant les rĂ©pressions, mais par la fin dâun idĂ©al moral et politique ». 96Il est dommage que Sophie CĆurĂ© ne se soit pas risquĂ©e Ă explorer davantage les raisons de lâaveuglement, puis du silence de Pierre Pascal et de tant dâintellectuels occidentaux face au communisme, mais aussi face Ă la Russie autoritaire. Tout juste note-t-elle lâamour quâil Ă©prouvait pour ce pays et qui le conduisait Ă la dĂ©fense militante de son peuple contre les prĂ©jugĂ©s ». Elle aurait pourtant pu repĂ©rer un indice dans cette fascination de Pierre Pascal pour le peuple russe », une formule qui, loin des rĂ©alitĂ©s sociologiques, encourage aujourdâhui encore les stĂ©rĂ©otypes et sâoppose Ă la notion dâ individu ». Sophie CĆurĂ© reprend abondamment ce terme de peuple », sans en interroger les limites et comme sâil nâavait pas Ă©tĂ© brandi tel un justificatif par les pires rĂ©gimes totalitaires du 20e siĂšcle. MĂȘme Ă lâissue de cette biographie, les ambiguĂŻtĂ©s, bien dĂ©crites, de Pierre Pascal restent donc une Ă©nigme. 97CĂ©cile VaissiĂ©Pennetier Claude et Pudal Bernard dir., Le Sujet communiste identitĂ©s militantes et laboratoires du moi, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 258 p., 20 âŹ98Cet essai, composĂ© de deux parties, dont une consacrĂ©e spĂ©cifiquement au cas français, rĂ©sulte pour lâessentiel dâun colloque sur la sociobiographie des militants, tenu Ă Paris, en dĂ©cembre 2010. Les contributions soulĂšvent Ă la fois la question de lâinscription des processus de subjectivation communistes dans lâensemble des processus historiques de longue durĂ©e qui caractĂ©risent âlâĂtatâ moderne et celle de la modalitĂ© spĂ©cifique, elle-mĂȘme plurielle suivant les pays, les partis, les moments et les acteurs, de lâexpĂ©rience communiste » p. 241. 99Catherine Depretto revient sur le journal de Podlubny 1914-1998, fils de paysans ukrainiens dĂ©koulakisĂ©s, en mettant en avant le concept, repris Ă Jochen Hellbeck, de subjectivitĂ© soviĂ©tique ». Celui-ci permettrait de mettre en Ă©vidence la participation des individus Ă la construction des identitĂ©s soviĂ©tiques, sans verser dans aucun moralisme, en refusant de partager la sociĂ©tĂ© soviĂ©tique uniquement entre victimes et bourreaux » p. 28. De son cĂŽtĂ©, Brigitte Studer Ă©tudie les Ă©coles internationales de cadres du Komintern, Ă partir des analyses de Michel Foucault sur la gouvernementalitĂ© ». Ioana Cirstocea prĂ©sente lâĂ©tude de cas dâun ingĂ©nieur roumain ayant fait une demande dâadmission au Parti communiste en 1966. Yves Cohen clĂŽt cette premiĂšre partie sâappuyant notamment sur lâenquĂȘte engagement » dans lâentreprise Renault, enquĂȘte Ă laquelle tous les salariĂ©s Ă©taient soumis en 2006, il soulĂšve ce paradoxe le âtravail sur soiâ si rĂ©pandu dans le monde communiste depuis les annĂ©es 1920 [est] devenu rĂ©cemment une pratique ordinaire dans les entreprises des sociĂ©tĂ©s libĂ©rales » p. 79. Si ces dĂ©marches relĂšvent de mĂ©thodes spĂ©cifiques, des rapprochements sont nĂ©anmoins Ă faire. 100Bernard Pudal et Claude Pennetier sâintĂ©ressent Ă la correspondance entre Albert Vassart 1898-1958 et Cilly Geisenberg, deux leaders communistes de premier plan, dont les lettres tĂ©moignent dâune vĂ©ritable coconstruction de ce que devrait ĂȘtre Ă leurs yeux un couple communiste » p. 128. Les deux auteurs reviennent, dans un autre article, sur le tournant qui sâopĂšre au cours des annĂ©es 1930 Alors que le premier communisme fait partie intĂ©grante de lâhistoire des fĂ©minismes, que pour nombre de militantes communistes de ces premiĂšres annĂ©es, le combat fĂ©ministe et le combat communiste sont Ă©troitement associĂ©s, il nâen est plus de mĂȘme durant les annĂ©es 1930 » p. 165. On notera encore, dans cette seconde partie, la contribution dâIsabelle GouarnĂ© sur les intellectuels philosoviĂ©tiques français dans lâentre-deux-guerres, ainsi que celle de Paul Boulland exposant le processus de certification ouvriĂšre » p. 207 du Parti communiste français dans lâaprĂšs-Seconde Guerre mondiale. 101FrĂ©dĂ©ric ThomasBianco Lucien, La RĂ©cidive rĂ©volution russe, rĂ©volution chinoise, Paris, Gallimard, BibliothĂšque des histoires », 2014, 517 p., 29 âŹ102Quelle gageure que de comparer deux rĂ©volutions ayant chacune produit un vĂ©ritable continent bibliographique ! Sâatteler Ă une tĂąche aussi ambitieuse Ă©tait un vrai pari. Il a Ă©tĂ© tenu dans un livre oĂč Lucien Bianco fait aussi, pour le plus grand bonheur du lecteur, Ćuvre de tĂ©moin, relatant ses nombreuses expĂ©riences personnelles au contact de la RĂ©volution chinoise son premier voyage en Chine date de 1954. 103Le beau titre souligne la thĂšse centrale, Ă savoir que la RĂ©volution chinoise a roulĂ© dans les orniĂšres de sa devanciĂšre, en tombant immanquablement dans les mĂȘmes travers. Cela sâexplique par une influence directe Ă lâĂ©poque de sa genĂšse 1921-1949, la RĂ©volution chinoise est reliĂ©e Ă sa devanciĂšre par un cordon ombilical qui sâappelle le Komintern. Ensuite, jusquâen 1956, pendant la lune de miel avec le grand frĂšre soviĂ©tique », elle accueille des milliers de conseillers russes et adopte sans Ă©tats dâĂąme le modĂšle stalinien. 104On retrouve donc la mĂȘme philosophie dâensemble avec des choix majeurs comme le centralisme dĂ©mocratique, qui se traduit trĂšs tĂŽt par la vitrification de la vie culturelle et intellectuelle. Dans le domaine Ă©conomique, la paysannerie est sacrifiĂ©e au mot dâordre dâindustrialisation Ă outrance. Le livre est composĂ© de neuf chapitres qui mettent chacun en lumiĂšre un aspect diffĂ©rent de cette convergence retard, rattrapage, politique, paysans, famines, bureaucratie, culture, camps et monstres. 105Il est remarquable que les deux systĂšmes connaissent les mĂȘmes emballements dramatiques, en particulier de terribles famines. Ils ont Ă©galement abouti Ă confĂ©rer une importance Ă©norme Ă un seul individu vers lequel tout a fini par converger, dâoĂč le chapitre monstres », une comparaison entre Staline et Mao, deux hommes qui ont sur la conscience non pas des millions, mais des dizaines de millions de morts. 106Les similitudes vont se loger jusque dans le vocabulaire Grand Bond en avant, RĂ©volution culturelle sont par exemple des termes empruntĂ©s Ă la rĂ©volution russe. On retrouve aussi un goĂ»t commun pour une façade dĂ©mocratique lues au pied de la lettre, les Constitutions de 1936 et de 1954 sont des modĂšles de libĂ©ralisme. 107Le communisme Ă la chinoise, si souvent glorifiĂ© en Chine aprĂšs la rupture sino-soviĂ©tique, est donc un trompe lâĆil. La dĂ©monstration que le maoĂŻsme comme idĂ©ologie est un avatar du stalinisme plus que du marxisme stricto sensu menĂ©e dans le superbe chapitre intitulĂ© Politique » emporte la conviction. 108Confronter, en cinq cents pages, deux rĂ©volutions dĂ©calĂ©es dâun quart de siĂšcle et nĂ©anmoins Ă©troitement liĂ©es Ă©tait une entreprise particuliĂšrement dĂ©licate, qui exigeait non seulement un ordonnancement rigoureux des idĂ©es, mais aussi une tension constante dans lâĂ©criture. Câest par lĂ que la RĂ©cidive pĂšche un peu assez clair dans les premiers chapitres, le fil de lâexposĂ© se fait parfois plus difficile Ă suivre dans la seconde partie dâun livre par ailleurs guĂšre servi par son Ă©dition que de coquilles et dâanglicismes pour une collection aussi prestigieuse ! 109Xavier PaulĂšsPolitique françaiseKrop JĂ©rĂŽme, La MĂ©ritocratie rĂ©publicaine Ă©litisme et scolarisation de masse sous la TroisiĂšme RĂ©publique, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 174 p., 17 âŹ110Jean-François Chanet le souligne dâemblĂ©e dans sa prĂ©face La nostalgie pour lâĂ©cole de la TroisiĂšme RĂ©publique est lâun des traits qui accompagnent dans notre pays la prise de conscience collective de lâĂ©chec des idĂ©aux Ă©galitaires de lâaprĂšs-guerre. » Ă cet Ă©gard, lâouvrage de JĂ©rĂŽme Krop est rien moins que nostalgique ! Extrait de sa thĂšse de doctorat sur Les fondateurs de lâĂ©cole du peuple corps enseignants, institution scolaire et sociĂ©tĂ© urbaine 1870-1920 » [6], le livre va en effet au cĆur social de la question scolaire de quelle Ă©galitĂ© la dĂ©mocratisation tertio-rĂ©publicaine fut-elle porteuse ? Ce faisant, il rouvre chez les historiens de lâĂ©cole le chantier de la question sociale. 111Son propos, fortement charpentĂ© et clairement nuancĂ©, est trĂšs convaincant la scolarisation de masse par lâĂ©cole rĂ©publicaine a entraĂźnĂ© une augmentation considĂ©rable de la culture maĂźtrisĂ©e par la population voir lâaccroissement des dĂ©tenteurs du certificat dâĂ©tudes mais aussi un maintien des inĂ©galitĂ©s sociales. Dit sommairement, la mĂ©ritocratie ne fut pas pour tous et les habituelles distinctions socioculturelles et spatiales se sont perpĂ©tuĂ©es. JĂ©rĂŽme Krop dĂ©boulonne salutairement les idĂ©es reçues sur lâĂ©cole de Jules Ferry », donne parfaitement Ă lire le systĂšme GrĂ©ard » comme fondateur dâĂ©litisme et propose des pistes passionnantes telle que celle dâune histoire Ă faire du redoublement comme systĂšme de protection des meilleurs dĂšs les annĂ©es 1880. Toutefois, derriĂšre les clichĂ©s de notre Ă©poque que JĂ©rĂŽme Krop dĂ©truit Ă la suite dâAntoine Prost ou de Patrick Cabanel, cette Ă©cole de la Belle Ăpoque se voulait-elle Ă©galitaire ? La dĂ©mocratisation de la RĂ©publique des Jules nâĂ©tait-elle pas avant tout politique ? La scolarisation dĂ©ployĂ©e jusquâaux masses visait-elle autre chose que la politisation des tĂȘtes blondes, câest-Ă -dire leur rĂ©publicanisation ? Ă cette aune, la premiĂšre TroisiĂšme RĂ©publique nâa-t-elle pas rĂ©ussi sa dĂ©mocratisation qui Ă©tait politique et non sociale ? 112Au total, Ă condition de ne pas se laisser prendre au titre plutĂŽt abusif dâun livre qui ne concerne ni toute la RĂ©publique il sâagit du seul dĂ©partement de la Seine, ni toute la TroisiĂšme RĂ©publique pas vraiment celle de lâentre-deux-guerres, ni exactement notre dĂ©mocratisation sociale, puissamment renouvelĂ©e par le Front populaire, donc pas tout Ă fait notre mĂ©ritocratie, on tient avec cet ouvrage une trĂšs nourrissante et neuve monographie sur lâĂ©litisme rĂ©publicain et la scolarisation de masse dans le dĂ©partement de la Seine Ă la Belle Ăpoque. On y retrouve toutes les remarquables qualitĂ©s des thĂšses de doctorat en histoire sociale centrĂ©es sur un corpus de sources labourĂ© exhaustivement. Câest dâun grand prix ! DĂšs lors, on attend avec impatience lâouvrage annoncĂ© de JĂ©rĂŽme Krop, La PremiĂšre GĂ©nĂ©ration des instituteurs rĂ©publicains dans la Seine 1870-1920 [7], portant sur le cĆur de sa thĂšse de doctorat, afin dây lire Ă plein les renouvellements de nos connaissances sur les instituteurs de la Belle Ăpoque. 113Olivier LoubesNaquet Emmanuel, Pour lâHumanitĂ© la Ligue des droits de lâHomme de lâaffaire Dreyfus Ă la dĂ©faite de 1940, prĂ©f. de Pierre Joxe, postf. de Serge Berstein, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 684 p., 29 âŹ114GrĂące Ă cet ouvrage, lâhistoire de la Ligue des droits de lâHomme, de sa fondation aux dĂ©buts de la Seconde Guerre mondiale, est enfin accessible dans son ensemble et sous une forme actualisĂ©e par les derniĂšres recherches de lâauteur. Le beau format offert par lâĂ©diteur permet de conserver une trame trĂšs dense dans cette version pourtant abrĂ©gĂ©e de la thĂšse de doctorat quâEmmanuel Naquet avait consacrĂ©e Ă ce monument constitutif de la RĂ©publique » qui la marqua notamment en raison de sa pĂ©rennitĂ© et de son audience. Lâensemble est Ă©crit dâune trĂšs belle plume, tout Ă la fois littĂ©raire et dâune grande efficacitĂ©, qui ne sacrifie donc pas le style Ă la prĂ©cision dâun propos tout en nuances. La prĂ©face de Pierre Joxe et la postface de Serge Berstein apportent des Ă©clairages synthĂ©tiques sur ce travail appelĂ© Ă devenir un grand classique de lâhistoire de la TroisiĂšme RĂ©publique. 115Si le plan dâensemble est chronologique premiĂšre partie des origines de la Ligue Ă 1914 ; deuxiĂšme partie sur lâ entre-deux de lâengagement politique » entre 1914 et 1932 ; troisiĂšme partie sur la Ligue des droits de lâHomme dans les annĂ©es 1930 face aux totalitarismes et Ă la montĂ©e des tensions nationales et internationales, chacune des parties est construite thĂ©matiquement. La perspective diachronique permet de conserver une grande cohĂ©rence Ă la dĂ©monstration et de montrer combien lâhistoire de cette association est profondĂ©ment tributaire de la gĂ©nĂ©ration qui, initialement, la dirige, mais aussi du temps politique national et international. Le traitement Ă©galement thĂ©matique nous fait pĂ©nĂ©trer au cĆur des dossiers auxquels les dirigeants de la Ligue ont choisi de consacrer lâorganisation. 116Cet ouvrage offre une incroyable variĂ©tĂ© de pistes de rĂ©flexion et est appelĂ© Ă ravir un lectorat dâune grande diversitĂ©. Les historiens du politique y trouveront une indispensable synthĂšse pour parfaire le tableau de la sociĂ©tĂ© politique sous la TroisiĂšme RĂ©publique rĂ©affirmation des valeurs rĂ©publicaines, capacitĂ© de mobilisation des rĂ©seaux qui unissent de simples citoyens et des Ă©lus, importance de la presse et des publications pour dĂ©fendre les opinions, travail de lobbying auprĂšs des Ă©lus, cĂ©citĂ© partielle aussi Ă lâĂ©gard des ligueurs accĂ©dant au pouvoir. Les historiens du culturel y puiseront de riches analyses sur les Ă©tapes et les formes de lâengagement civique ou politique des Ă©lites, notamment des intellectuels, ou sur les modes de sociabilitĂ© au sein de la Ligue. Les historiens du droit apprĂ©cieront les analyses sur lâimplication dâune association dans le domaine juridique, sa capacitĂ© Ă ĂȘtre une vigie du droit, Ă dĂ©fendre des principes comme des dossiers particuliers. La volontĂ© de lâauteur de traiter du combat ligueur aussi dans sa dimension internationale offre des pistes Ă©galement dans ce domaine de lâhistoire capacitĂ© de la Ligue Ă essaimer Ă lâĂ©tranger, volontĂ© de fĂ©dĂ©rer les diffĂ©rentes ligues nationales pour donner plus dâĂ©cho Ă leur combat, souci de montrer, au-delĂ de la dĂ©fense de cas individuels, les dangers pesant plus gĂ©nĂ©ralement sur les droits et les libertĂ©s dans le monde, soutien concret aux rĂ©fugiĂ©s. 117Outre la mention des sources utilisĂ©es, commentĂ©es dans la trĂšs utile introduction, et de classiques orientations bibliographiques, notons dans cette version publiĂ©e un index fouillĂ© et un cahier photographique couleur qui offrent des reproductions de documents dâarchives donnant corps Ă cette histoire, notamment les unes ou les couvertures de publications de la Ligue, les portraits photographiques de membres du ComitĂ© central. Les renvois Ă la thĂšse de doctorat consultable en ligne assurent enfin aux lecteurs de pouvoir aisĂ©ment se rĂ©fĂ©rer aux documents joints de la version originelle de ce travail. 118Anne-Laure AnizanIgounet ValĂ©rie, Le Front national de 1972 Ă nos jours le parti, les hommes, les idĂ©es, Paris, Ăd. du Seuil, 2014, 495 p., 24 âŹ119SpĂ©cialiste du nĂ©gationnisme en France, lâhistorienne ValĂ©rie Igounet propose une synthĂšse de lâhistoire du Front national depuis sa crĂ©ation en 1972 jusquâĂ sa place centrale dans le jeu politique actuel. Pour mener Ă bien son travail, elle a dĂ©pouillĂ© de nombreux fonds dâarchives, certains inĂ©dits, et rĂ©alisĂ© des entretiens avec des membres historiques du Front national, Ă commencer par Jean-Marie Le Pen. La spĂ©cificitĂ© du Front national dans le jeu politique national impose que lâon en restitue la genĂšse politique et intellectuelle depuis quâAlain Robert, le fondateur dâOrdre nouveau le mouvement Occident ayant Ă©tĂ© dissous en 1968, a suggĂ©rĂ© Ă lâancien dĂ©putĂ© poujadiste Jean-Marie Le Pen de rejoindre le projet de crĂ©ation dâun Front national pour lâunitĂ© française » en 1972. 120Adoptant un plan chronologique comportant cinq parties, des lendemains de 1968 jusquâĂ lâascension de la fille du leader historique en 2011, lâhistorienne retrace une histoire complexe marquĂ©e par les prises de position qui isolent durablement le Parti notamment le point de dĂ©tail de lâhistoire » et les crises internes, en particulier la scission mĂ©grĂ©tiste de 1999. De ce point de vue, on ne peut ĂȘtre que marquĂ© par la maniĂšre dont ce parti sâest nĂ©anmoins dĂ©veloppĂ© alors mĂȘme quâen 1981, Jean-Marie Le Pen nâĂ©tait pas parvenu Ă rassembler les signatures suffisantes pour se prĂ©senter Ă lâĂ©lection prĂ©sidentielle et que le mouvement comptait alors Ă peine cent cinquante adhĂ©rents Ă jour de cotisation. Il convient de remettre sa trajectoire en perspective par rapport Ă la ligne gauche-droite qui traversait jusque-lĂ la vie politique ; le Front national ayant refusĂ© en 1986 de devenir un alliĂ© occasionnel de la droite revenue alors au pouvoir tandis que la gauche tentait dâen jouer pour contrer la droite Pierre BĂ©rĂ©govoy parlant dâune chance historique pour les socialistes ». Lâauteur met Ă©galement en avant lâimportance de la structuration du Parti par Bruno MĂ©gret et ses Ă©quipes. Le Front national devient alors une vĂ©ritable machine Ă©lectorale disposant dâun appareil extrĂȘmement structurĂ©. La crise qui Ă©clate aprĂšs lâĂ©viction du clan mĂ©grĂ©tiste en 1999 rend dâautant plus surprenants les rĂ©sultats du premier tour des Ă©lections prĂ©sidentielles de 2002 qui hissent lâextrĂȘme droite française Ă un niveau jamais atteint jusque-lĂ . Cette synthĂšse trĂšs bien documentĂ©e permet au final de mieux dĂ©finir lâidentitĂ© sociopolitique dâun parti hors-norme, en mettant lâaccent sur ces spĂ©cificitĂ©s, quâil sâagisse de sa plasticitĂ© en matiĂšre doctrinale, notamment vis-Ă -vis des Ătats-Unis, ou bien encore des tensions qui existent au sein du mouvement entre une approche pragmatique ayant pour perspective lâexercice du pouvoir, et le maintien dâune idĂ©ologie dure qui flirte avec la pensĂ©e historique de lâextrĂȘme droite datant de la fin du 19e siĂšcle. 121Thibault TellierSociĂ©tĂ© françaiseMension-Rigau Ăric, SinguliĂšre noblesse lâhĂ©ritage nobiliaire dans la France contemporaine, Paris, Fayard, Histoire », 2015, 377 p., 20 âŹ122Ă lâinstar de ses prĂ©cĂ©dents ouvrages, notamment Aristocrates et grands bourgeois [8], Ăric Mension-Rigau, professeur dâhistoire contemporaine et titulaire de la chaire dâhistoire sociale et culturelle Ă la Sorbonne, sâattache dans ce nouvel opus Ă croiser histoire de la famille et sociologie des Ă©lites. Il mĂȘle avec brio connaissances approfondies du sujet quâil Ă©tudie depuis plus dâun quart de siĂšcle, rigueur historique et mĂ©thode ethnosociologique, grĂące Ă de nombreux entretiens. 123Lâauteur apporte une analyse prĂ©cise et documentĂ©e sur lâĂ©volution de la noblesse française au tournant du 21e siĂšcle. Le livre se lit trĂšs agrĂ©ablement, faisant alterner analyses et citations. DestinĂ© Ă un public concernĂ© par lâhistoire des Ă©lites, lâouvrage intĂ©ressera plus largement tous ceux qui cherchent Ă comprendre lâĂ©volution de la sociĂ©tĂ© dâaujourdâhui. Au fil des pages, sont abordĂ©es successivement et avec une grande finesse les Ă©volutions de ce milieu social singulier » liĂ©es aux changements rapides de la sociĂ©tĂ© française actuelle. Dans un premier temps, est analysĂ© un monde de mĂ©moire » au prisme de la crise » et des dĂ©fis » de la transmission des biens en particulier le chĂąteau familial ainsi que des valeurs essentielles de la noblesse. Une attention particuliĂšre est portĂ©e Ă lâĂ©tude de lâĂ©volution du droit qui peut ĂȘtre en contradiction avec les principes nobiliaires. Les aspects de lâattraction du pouvoir, du service et du rang Ă tenir ainsi que du code aristocratique sont largement Ă©tudiĂ©s dans une deuxiĂšme partie. Un troisiĂšme temps est consacrĂ© aux arbitres des Ă©lĂ©gances » et notamment Ă la distinction ». La conclusion pose la judicieuse question de savoir comment conserver une identitĂ© nobiliaire propre si lâon ne se situe plus dans la chaĂźne de lâhistoire. 124Dâun point de vue formel, on peut regretter, en annexe, lâabsence de liste des entretiens menĂ©s par lâauteur et leur date de rĂ©alisation, essentielle pour montrer lâĂ©volution de la noblesse depuis les travaux prĂ©cĂ©dents de lâauteur. Sur le fond, la question qui demeure aprĂšs la lecture passionnante de SinguliĂšre noblesse est de savoir, au-delĂ de lâincontestable hĂ©ritage nobiliaire », sâil demeure vĂ©ritablement une spĂ©cificitĂ© de la noblesse liĂ©e Ă lâhonneur ou Ă la volontĂ© de tenir son rang ou si elle sâest fondue avec la bourgeoisie ancienne du vieil argent dans une Ă©lite plus vaste dont le point commun resterait lâattachement indĂ©fectible Ă ses valeurs traditionnelles, notamment catholiques. Le mĂ©canisme du maintien de la position de la noblesse lui est-il singulier » ou est-il lâillustration dâun phĂ©nomĂšne plus gĂ©nĂ©ral de maintien des Ă©lites ? 125Odile Gaultier-VoituriezBianchi Serge, Une tragĂ©die sociale en 1908 les grĂšves de Draveil-Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges, NĂ©rac, Amis du vieux NĂ©rac/ComitĂ© de recherches historiques sur les rĂ©volutions de lâEssonne/Ăditions dâAlbret, 2014, 665 p., 20 âŹ126La longue grĂšve des terrassiers du Val-de-Seine, au printemps 1908, est bien connue des spĂ©cialistes. Elle sâinscrit dans le vaste ensemble des conflits sociaux qui, au lendemain du 1er Mai sanglant de Fourmies 1891, se signalent par la rudesse des affrontements, lâusage de la troupe, les morts ouvriĂšres, et marquent, si lâon suit les analyses classiques, le dĂ©but dâun nouvel Ăąge de la grĂšve ou, mieux, le moment de la plus forte tension entre un syndicalisme en plein essor, un patronat conquĂ©rant et des gouvernements inquiets de la poussĂ©e socialiste. 127Faisant le constat du silence qui entoure les Ă©vĂ©nements de Draveil, Vigneux et Villeneuve-Saint-Georges sur les lieux mĂȘmes de la tragĂ©die » six morts, Serge Bianchi, professeur Ă©mĂ©rite Ă lâUniversitĂ© Rennes-II, animateur de plusieurs sociĂ©tĂ©s savantes de lâEssonne, entend faire Ćuvre de mĂ©moire dans le respect des archives ». Sâappuyant sur lâouvrage pionnier de Jacques Julliard [9], Clemenceau, briseur de grĂšves, dont il entreprend de revisiter les conclusions, il prĂ©sente scrupuleusement le contexte local, le fil des Ă©vĂ©nements, les enjeux nationaux et les logiques mĂ©morielles. De la masse dâinformations disponibles sur cette grĂšve qui renvoie aux transformations de la surveillance policiĂšre Ă lâĂąge du prĂ©fet LĂ©pine et aux inquiĂ©tudes du gouvernement face Ă un conflit se radicalisant aux portes de Paris dans un secteur vital pour les travaux de la capitale rĂ©sulte un ouvrage particuliĂšrement riche, mais au systĂ©matisme dĂ©concertant, qui nâĂ©vite ni les rĂ©pĂ©titions ni les dĂ©veloppements trop gĂ©nĂ©raux sur le rĂŽle de la presse ou les acteurs nationaux du drame Victor Griffuelhes, Jean JaurĂšs, Paul Lafargue, Georges Clemenceau. Au-delĂ de lâanalyse des ressorts syndicaux et politiques du conflit, lâouvrage lance de nombreuses hypothĂšses stimulantes sur les mĂ©tamorphoses dâune banlieue en pleine croissance oĂč se croisent populations locales et nouveaux venus de France ou de lâĂ©tranger, sur les mutations du travail dans le contexte dâune accĂ©lĂ©ration de lâindustrialisation et sur lâĂ©mergence dâun patronat combatif en rupture avec les vieilles logiques paternalistes. 128Nous regretterons avec lâauteur que la documentation disponible ne permette pas toujours de franchir le mur quotidien de la grĂšve, mĂȘme si nous disposons dâinformations sur les rĂ©unions, les dĂ©placements, les soupes communistes, la vie des familles ou la situation des enfants qui permettraient, en les creusant, dâesquisser une premiĂšre anthropologie de la grĂšve dans laquelle la question des solidaritĂ©s, des tensions, des contacts avec les autoritĂ©s, des violences, du rapport complexe Ă la machine, du rythme et des respirations de la grĂšve seraient en mesure de mieux Ă©clairer les transformations en cours du monde ouvrier. Compte tenu du propos initial sur les sources, une place centrale est accordĂ©e aux reproductions de documents qui ne sont malheureusement pas toujours exploitables du fait de leur petite taille. Câest dommage. 129StĂ©phane GaconFontaine Marion, Fin dâun monde ouvrier LiĂ©vin, 1974, Paris, Ăd. de lâEHESS, Cas de figure, 36 », 2014, 240 p., 16 âŹ130La dĂ©sindustrialisation qui touche lâĂ©conomie des pays occidentaux depuis environ un demi-siĂšcle nâest pas la fin de lâindustrie. Cependant, ce processus est incontestablement le terme dâun systĂšme productif nĂ© Ă la fin du 19e siĂšcle et qui avait organisĂ© les sociĂ©tĂ©s occidentales autour de grands secteurs industriels liĂ©s notamment au charbon et au minerai de fer. En France, les houillĂšres du Nord-Pas-de-Calais en ont longtemps Ă©tĂ© un des emblĂšmes ; les gueules noires » faisant figure dâarchĂ©types dâune classe ouvriĂšre courageuse soumise aux dangers de lâextraction souterraine du charbon. Au cours de la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle, mĂȘme si lâĂ©volution des mesures de sĂ©curitĂ© et les progrĂšs techniques ont rendu les risques moins importants dans les galeries, des mineurs ont encore Ă©tĂ© blessĂ©s, silicosĂ©s ou tuĂ©s, les grandes catastrophes miniĂšres continuant Ă©galement de jalonner la mĂ©moire et lâhistoire charbonniĂšres. Marion Fontaine revient sur lâune des derniĂšres Ă sâĂȘtre dĂ©roulĂ©e sur le territoire français celle de LiĂ©vin, survenue en 1974 et qui fit quarante-deux morts. Elle lâanalyse selon une perspective dâhistoire politique et sociale, tout en rĂ©alisant de nombreuses incursions bienvenues dans le domaine de lâhistoire des reprĂ©sentations, principalement Ă partir de sources archivistiques et journalistiques. 131Cette catastrophe apparaĂźt comme un dramatique indice » p. 39 de la disparition du monde industriel ancien. PrĂ©cisĂ©ment, lâun des nombreux mĂ©rites du livre, en plus de sa grande intelligibilitĂ©, est de prĂ©senter la dimension anachronique de cet Ă©vĂ©nement dans la France de la fin des Trente Glorieuses. MĂȘme le mythe du mineur martyr nâa plus le mĂȘme Ă©cho au moment de LiĂ©vin. Les temps ont changĂ©. Les forçats de la terre sont devenus des techniciens. Tandis que lâactivitĂ© miniĂšre disparaĂźt, les gueules noires » sont dĂ©sormais des perdants magnifiques » p. 53. LâextrĂȘme gauche, si dynamique en cet aprĂšs-68, a dâailleurs beaucoup de difficultĂ©s Ă utiliser positivement le monde des mineurs dans son argumentation idĂ©ologique, alors que la ConfĂ©dĂ©ration gĂ©nĂ©rale du travail CGT et le Parti communiste français PCF continuent de se revendiquer comme Ă©tant les porte-parole les plus lĂ©gitimes de cette composante de la classe ouvriĂšre. Cependant, au milieu des annĂ©es 1970, davantage quâune armĂ©e de rĂ©volutionnaires en marche, les populations miniĂšres apparaissent comme les victimes dâun ordre industriel ancien. La dĂ©fense des familles des mineurs morts lors de la catastrophe reposant mĂȘme sur lâaction dâun petit juge » dont lâobjectif sâinscrit dans un mouvement plus large de criminalisation gĂ©nĂ©ralisĂ©e des accidents de travail » p. 157 qui nâaboutira pas. 132Si LiĂ©vin est une impasse politique et judiciaire » p. 224, lâĂ©vĂ©nement correspond aussi Ă des changements culturels et sociaux importants au sein des populations ouvriĂšres dans la façon de considĂ©rer les risques professionnels ou dans la maniĂšre dâexiger la dĂ©mocratisation et la transparence. Une nouvelle identitĂ© ouvriĂšre est alors en construction. 133Pascal RaggiTrajectoires politiques et intellectuellesFormaglio CĂ©cile, FĂ©ministe dâabord » CĂ©cile Brunschvicg 1877-1946, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Archives du fĂ©minisme », 2014, 334 p., 22 âŹ134CĂ©cile Brunschvicg fait partie de ces personnalitĂ©s dont le nom dit quelque chose Ă tout historien du 20e siĂšcle, puisquâelle est lâune des trois premiĂšres femmes françaises Ă avoir participĂ© Ă un gouvernement, celui de LĂ©on Blum en 1936, avec IrĂšne Joliot-Curie et Suzanne Lacore. Cependant, elle fait aussi partie de ces personnalitĂ©s dont lâhistoire nâa retenu quâun seul fait de gloire », occultant pour la postĂ©ritĂ© la richesse et la complexitĂ© dâune vie et dâun itinĂ©raire dâengagement. Câest pour cela que le travail biographique que lui a consacrĂ© CĂ©cile Formaglio tout au long de son parcours universitaire et dont ce livre, issu de sa thĂšse de doctorat, rend compte, est dâune grande utilitĂ© tant pour lâhistoire des femmes et du genre que pour lâhistoire des intellectuels, lâhistoire politique et lâhistoire sociale. 135Cette Ă©tude ne rĂ©vĂšle pas une femme dâavant-garde, mais une femme patiemment rĂ©formiste, dâautant plus soucieuse dâamĂ©liorer le sort des femmes quâelle est consciente de la chance que son statut social elle fait partie de la haute bourgeoisie aisĂ©e et conjugal son Ă©poux, lâuniversitaire LĂ©on Brunschvig, est lui aussi convaincu de lâĂ©galitĂ© des sexes lui offre. Lâauteur montre que les engagements de CĂ©cile Brunschvicg se sont dĂ©veloppĂ©s Ă partir dâun cadre de pensĂ©e nourri du fĂ©minisme. Lâapproche Ă la fois chronologique et thĂ©matique permet de suivre les combats fĂ©ministes, sociaux et politiques, quâelle a menĂ©s pendant des annĂ©es, et de voir lâĂ©volution de sa pensĂ©e sur diffĂ©rentes questions le contrĂŽle des naissances, lâĂ©ducation des filles, le travail des femmes, le suffrage fĂ©minin, etc.. Elle permet aussi de mesurer la part immense prise dans la vie de CĂ©cile Brunschvicg par ses activitĂ©s militantes dans les associations fĂ©ministes, notamment lâUnion française pour le suffrage des femmes et le Conseil national des femmes françaises, Ă la direction du journal La Française, au Parti radical et dans diffĂ©rents groupes dâexperts. Elle rĂ©vĂšle aussi leur dimension souvent internationale. 136La structuration dynamique de lâouvrage en rend la lecture Ă la fois aisĂ©e et stimulante. Le cahier dâillustrations central incarne cette histoire dont les sources sont peu loquaces sur la vie intĂ©rieure et les Ă©motions de cette femme, y compris dans les pĂ©riodes douloureuses des guerres mondiales. Ă ce sujet, le dernier chapitre est passionnant et nul doute quâil y aurait beaucoup Ă Ă©crire encore sur la façon dont CĂ©cile Brunschvicg a traversĂ© la pĂ©riode de lâOccupation dans la clandestinitĂ©. 137Anne RenoultStenger Nicolas, Denis de Rougemont les intellectuels et lâEurope au xxe siĂšcle, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015, 410 p., 22 âŹ138Denis de Rougemont, lâun des rares penseurs de lâEurope unie et fĂ©dĂ©rale au 20e siĂšcle, suscite rĂ©guliĂšrement lâattention des spĂ©cialistes de lâeuropĂ©isme on peut aussi citer les travaux de François de Saint-Ouen. Incontestablement, dans une bibliographie dĂ©jĂ riche, ce travail mĂ©rite un dĂ©tour. Le livre vaut par son approche soigneuse par exemple, les activitĂ©s du publiciste dans la guerre froide culturelle et surtout critique ainsi que par sa capacitĂ© Ă dĂ©coller de certaines histoires pieuses qui ont, parfois, caractĂ©risĂ© lâhistoriographie de la construction de lâEurope. Un Jean-Pierre Rioux avait contestĂ© il y a quelques annĂ©es cette histoire tĂ©lĂ©ologique en forme de supplĂ©ment dâĂąme Ă la construction europĂ©enne » VingtiĂšme SiĂšcle, n° 50, avril-juin 1996. Ici, lâauteur nuance non, le congrĂšs de La Haye en 1948 ne fut pas un dĂ©part vraiment rĂ©ussi de lâaventure europĂ©enne, rĂ©vise les activitĂ©s culturelles menĂ©es par Denis de Rougemont, dont le fameux Centre europĂ©en de la culture nĂ© en 1950, furent toujours trĂšs prĂ©caires et, somme toute, prend largement Ă contrepied le bilan des activitĂ©s europĂ©ennes de Rougemont sâavĂšre plutĂŽt dĂ©cevant bon nombre de propos optimistes sur le rĂŽle de certains intellectuels dans la cause europĂ©enne. On pourrait plutĂŽt parler de leur marginalitĂ© par rapport aux diverses instances politiques europĂ©ennes. 139On sâĂ©tonne des efforts dĂ©ployĂ©s pendant trente ans aprĂšs 1947, moment oĂč ce travail dĂ©marre par lâĂ©crivain suisse et quelques-uns de ses proches dont surtout lâĂ©minence grise » polonaise Joseph Retinger et le banquier Paul Van Zeeland qui le soutinrent dans les moments les plus pĂ©rilleux et le peu dâĂ©chos concrets rencontrĂ©s. Les milieux dâaffaires les industriels suisses Ă©tant peut-ĂȘtre les moins ladres et les milieux politiques du Conseil de lâEurope se montrĂšrent en permanence avares. Le fameux groupe de Bilderberg, dont Denis de Rougemont Ă©tait membre et auquel une histoire complotiste » prĂȘte beaucoup, sâest finalement avĂ©rĂ© incapable dâaider sĂ©rieusement le Centre europĂ©en de culture en dĂ©pit de la prĂ©sence de nombreux banquiers et industriels. Les Fondations amĂ©ricaines restĂšrent quant Ă elles constamment sceptiques devant ses projets, et ce bien que de Rougemont fĂ»t une personnalitĂ© Ă©minente du CongrĂšs pour la libertĂ© de la culture largement financĂ© par la Fondation Ford. Pour les rares intellectuels dâesprit europĂ©en Aron, Madariaga, Mounier, leur collaboration fut le plus souvent dĂ©cevante ou Ă©pineuse, comme avec le recteur de Nancy, Jean Capelle. Certes, le Centre europĂ©en de la culture, via son prĂ©cieux Bulletin tirĂ© Ă quatre mille exemplaires, porte toute une sĂ©rie de projets, scientifiques il lance le CERN de GenĂšve, culturelles crĂ©ation de lâassociation des Instituts dâĂ©tudes europĂ©ennes et de lâassociation europĂ©enne des festivals de musique ou pĂ©dagogiques les plans de causeries » diffusĂ©s Ă plus dâun million dâexemplaires en 1952. Cependant, les rĂ©sultats dâensemble sont minces et les vicissitudes pour crĂ©er une universitĂ© europĂ©enne Ă partir de 1958 le futur institut de Florence donnent une bonne mesure de ce que fut rĂ©ellement lâEurope de la culture » pendant les annĂ©es 1950 Ă 1970. Sans doute, lâexamen des annĂ©es 1980 apporterait un panorama moins sombre avec les industries culturelles ». Denis de Rougemont se voit finalement contraint au cours des annĂ©es 1970 Ă se replier sur lâespace universitaire suisse pour sauver son Centre de culture. 140Que reste-t-il donc de cette vie de lutteur ? Une Ćuvre, Ă lâĂ©criture souvent entraĂźnante, mais aussi parfois assez datĂ©e sur le plan intellectuel. Sa vision dâune Europe surtout marquĂ©e par le christianisme religion de lâincarnation et de la personne et par lâinnovation paraĂźt Ă tout le moins assez incomplĂšte, voire bien partiale. Plus topique, semble-t-il, son insistance sur la diversitĂ© unitaire le dialogisme » qui caractĂ©rise lâEurope politicoculturelle et qui devrait inciter tous les responsables politicoculturels Ă un permanent travail dâinterculturalitĂ©, sur le modĂšle dâArte. Ă ce titre, Denis de Rougemont, intellectuel engagĂ© dans la cause europĂ©enne depuis les lointaines annĂ©es 1930, laisse un tĂ©moignage qui force le respect. 141François ChaubetPoncet Charles, Camus et lâimpossible TrĂȘve civile, suivi dâune correspondance avec Amar Ouzegane, textes Ă©tablis, annotĂ©s et commentĂ©s par Yvette Langrand, Christian PhĂ©line et AgnĂšs Spiquel-Courdille, Paris, Gallimard, 2015, 330 p., 24 âŹ142 De quoi sâagit-il ? Dâobtenir que le mouvement arabe et les autoritĂ©s françaises, sans avoir Ă entrer en contact ni Ă sâengager Ă rien dâautre, dĂ©clarent, simultanĂ©ment, que, pendant toute la durĂ©e des troubles, la population civile sera, en toute occasion, respectĂ©e et protĂ©gĂ©e. » En prĂ©sentant ainsi lâinitiative que, avec bien dâautres, il avait prise et qui fut prĂ©sentĂ©e le 22 janvier 1956 lors dâune rĂ©union Ă Alger, Albert Camus se situait dans la logique de sa piĂšce créée six ans plus tĂŽt, Les Justes aucun combat ne peut justifier la mort dâun innocent. Or, des innocents, beaucoup avaient Ă©tĂ© tuĂ©s dans le Constantinois au mois dâaoĂ»t prĂ©cĂ©dent, lors de massacres qui, par leur ampleur, marquĂšrent la vie politique au point que la question algĂ©rienne devint le principal enjeu des Ă©lections lĂ©gislatives de janvier 1956. Elles conduisirent au Palais-Bourbon une majoritĂ© de gauche censĂ©e trouver une solution nĂ©gociĂ©e au problĂšme algĂ©rien. Câest dans ce contexte que, pour au moins Ă©viter les tueries, se constitua un groupe informel, des amis qui souvent se connaissaient depuis les annĂ©es 1930. 143Le projet connut bien des vicissitudes, ne fĂ»t-ce que pour se rĂ©unir une salle de la mairie, promise par Jacques Chevallier, ancien secrĂ©taire dâĂtat de Pierre MendĂšs France et maire dâAlger, nâa en dĂ©finitive pas Ă©tĂ© mise Ă la disposition du groupe aprĂšs les incidents qui, une dizaine de jours plus tĂŽt, avaient empĂȘchĂ© le dĂ©putĂ© Charles Hernu dây tenir une confĂ©rence. Comme aucun propriĂ©taire de cinĂ©ma nâacceptait de louer sa salle, la rĂ©union dĂ»t se tenir au Cercle du progrĂšs, siĂšge de lâAssociation des oulĂ©mas. Soutenu par le clergĂ© protestant et LĂ©on-Ătienne Duval, archevĂȘque dâAlger depuis deux ans, mais aussi Ferhat Abbas, qui nâĂ©tait pas encore officiellement membre du Front national de libĂ©ration FLN, le ComitĂ© pour la TrĂȘve civile qui sâest alors mis en place comprenait des hommes comme lâĂ©diteur Edmond Charlot, le peintre Louis Benisti, lâĂ©crivain Emmanuel RoblĂšs, des militants pour lâindĂ©pendance forts discrets sur leur appartenance au FLN et le messaliste Mohamed Lebjaoui. AssiĂ©gĂ©e par des manifestants criant Ă mort Camus ! MendĂšs au poteau ! », protĂ©gĂ©e par un service dâordre largement composĂ© de militants du FLN mais les membres du comitĂ© lâignoraient, la sĂ©ance se tint dans un climat tendu. LâĂ©meute dâAlger deux semaines plus tard, lors de la visite du prĂ©sident du Conseil, Guy Mollet, puis le changement de politique de la nouvelle majoritĂ© et, au printemps, les mesures militaires ont rendu vains les espoirs des promoteurs de la TrĂȘve civile. Tout au plus lâinitiative de Germaine Tillion, essayant Ă lâĂ©tĂ© 1957 dâobtenir du FLN lâinterruption des attentats aveugles et, du pouvoir, celle de lâexĂ©cution des peines de mort, peut-elle ĂȘtre comprise comme se situant dans sa continuitĂ©. 144Ami proche de Camus quâil a connu en 1935 dans le cadre du groupe pacifiste et antifasciste Amsterdam Pleyel, Charles Poncet Ă©tait, comme plusieurs acteurs de cette initiative, un passionnĂ© de théùtre. Il a mis une vingtaine dâannĂ©es Ă Ă©crire ce texte Jâai eu Ă prĂ©sent assez dâemmerdements avec toutes ces histoires, et je me demande si je ne ferais pas mieux de rester tranquille dans mon coin », Ă©crivait-il Ă la fin de lâannĂ©e 1963. SollicitĂ© peu aprĂšs sa mort par Roger Quillot pour la publication des deux tomes des Ćuvres de Camus dans la BibliothĂšque de la PlĂ©iade », il sâest attelĂ© Ă la rĂ©daction dâun tĂ©moignage qui ne fut achevĂ© quâun quart de siĂšcle plus tard. Outre le rĂ©cit de Poncet, qui permet une approche approfondie de cet Ă©pisode de la guerre dâAlgĂ©rie, ce volume propose aussi la correspondance Ă©changĂ©e entre mai et octobre 1976 avec Amar Ouzegane, un des organisateurs de la rĂ©union, secrĂ©taire adjoint du Parti communiste algĂ©rien en 1937, lâannĂ©e oĂč Camus en fut exclu pour trotskisme. Un riche appareil critique met lâensemble en perspective, et en particulier lâanalyse comparĂ©e des six rĂ©cits dĂ©jĂ effectuĂ©s de cet Ă©pisode et de la maniĂšre dont ils ont Ă©tĂ© repris dans les biographies de Camus, ainsi que la perception rarement pertinente de cette initiative par les Renseignements gĂ©nĂ©raux. 145 LâAppel pour une TrĂȘve civile en AlgĂ©rie » fut publiĂ© par les Ă©ditions Gallimard en 1958 dans Chroniques algĂ©riennes. Ce recueil regroupe plusieurs des textes que Camus a consacrĂ©s Ă lâAlgĂ©rie, notamment les articles publiĂ©s en 1939 dans lâAlger rĂ©publicain sur la misĂšre en Kabylie et ceux de Combat oĂč, seul Ă©ditorialiste de la presse française Ă les condamner, il sâest Ă©levĂ© contre les massacres de mai 1945 et a tentĂ© une synthĂšse des dĂ©fis Ă relever dans une AlgĂ©rie marquĂ©e par la guerre qui venait de se terminer. Les positions de Camus ont tant Ă©tĂ© caricaturĂ©es, voire tronquĂ©es comme la rĂ©ponse quâil avait apportĂ©e Ă la question dâun Ă©tudiant algĂ©rien lors de la confĂ©rence de presse de Stockholm au moment de la remise de son prix Nobel, quâil ne faut pas hĂ©siter Ă lire ce recueil pour situer lâAppel dans la continuitĂ© de ses engagements. 146Christian ChevandierMercier Charles, Autonomie, autonomies RenĂ© RĂ©mond et la politique universitaire aux lendemains de mai 1968, Paris, Publications de la Sorbonne, 2015, 283 p., 24 âŹ147Le livre de Charles Mercier est non seulement un rĂ©cit de lâaction de RenĂ© RĂ©mond Ă la prĂ©sidence de Nanterre de 1971 Ă 1976, mais Ă©galement un chapitre de lâhistoire des politiques universitaires, dâOlivier Guichard Ă Alice Saunier-SeĂŻtĂ©. Lâauteur a exploitĂ© les archives de RenĂ© RĂ©mond, versĂ©es Ă la BibliothĂšque nationale de France ou conservĂ©es par son fils Emmanuel, les archives des prĂ©sidents de la RĂ©publique, du ministĂšre, de la prĂ©fecture des Hauts-de-Seine. Cette abondante documentation, complĂ©tĂ©e par la presse, lâanalyse dâĂ©missions radiophoniques ou tĂ©lĂ©visuelles, de nombreux tĂ©moignages publiĂ©s ou sollicitĂ©s par lâauteur, lui permettent de suivre trĂšs prĂ©cisĂ©ment les interventions de RenĂ© RĂ©mond, Ă la fois dans son UniversitĂ©, au sein de la ConfĂ©rence des prĂ©sidents dâuniversitĂ© CPU et auprĂšs des ministres. Ajoutons quâune bonne bibliographie et un index complĂštent heureusement cet ouvrage auquel ne manque quâune chronologie. 148Au sein de la CPU, RenĂ© RĂ©mond a assez vite pris une place importante, comme il le dit lui-mĂȘme p. 46. Il prĂ©side dâabord la Commission pĂ©dagogie et formation permanente », ce qui le fait siĂ©ger Ă la Commission permanente. Ălu troisiĂšme vice-prĂ©sident en septembre 1973, il prend la tĂȘte de la CPU un an plus tard pour une annĂ©e et la quitte en fĂ©vrier 1976, quand cesse son mandat de prĂ©sident de Nanterre. 149Sa notoriĂ©tĂ©, sa courtoisie, sa compĂ©tence, son souci du consensus, son rĂ©seau de relations, notamment dans les milieux catholiques il prĂ©side le ComitĂ© catholique des intellectuels français lui facilitent les contacts avec les ministres et les hauts responsables de lâĂducation nationale. Câest un homme de compromis, un sage » sur qui lâon peut compter Ă la fin de lâannĂ©e 1971, on lui propose de succĂ©der Ă son ami Jean Sirinelli comme directeur dĂ©lĂ©guĂ© aux enseignements supĂ©rieurs, ce quâil refuse. Il est en trĂšs bon termes avec Olivier Guichard et Joseph Fontanet, puis avec Jean-Pierre Soisson, sur qui il exerce mĂȘme une certaine ascendance » p. 213. En revanche, avec la nomination dâAlice Saunier-SeĂŻtĂ©, en janvier 1976, câest la disgrĂące. RenĂ© RĂ©mond la juge mĂ©diocre et vulgaire, et elle ne le lui pardonne pas. En outre, elle rompt dĂ©libĂ©rĂ©ment avec la politique quâil avait peu Ă peu fait prĂ©valoir et quâil ne peut plus dĂ©fendre quâen coulisse, puisquâil perd ses positions officielles. 150RenĂ© RĂ©mond ne contestait absolument pas lâautoritĂ© des ministres, car il Ă©tait convaincu des responsabilitĂ©s de lâĂtat envers le service public dâenseignement supĂ©rieur, mais il Ă©tait en mĂȘme temps un partisan rĂ©solu de lâautonomie des universitĂ©s. ConformĂ©ment Ă la tradition universitaire, il tenait Ă distinguer lâordre du pouvoir et celui de lâesprit, et il Ă©tait convaincu que seuls les prĂ©sidents des universitĂ©s Ă©taient en mesure de gĂ©rer efficacement celles-ci. Aussi souhaitait-il que les dĂ©cisions ministĂ©rielles soient approuvĂ©es par les prĂ©sidents, afin dâacquĂ©rir une lĂ©gitimitĂ© incontestable. Il Ă©tait donc indispensable pour lui que les ministres et la CPU Ćuvrent en bonne entente, ce qui excluait Ă la fois la franche opposition et la docilitĂ© servile. 151Cependant, afin que la CPU puisse jouer ce rĂŽle, intervenant avant les dĂ©cisions pour les inflĂ©chir, il fallait quâelle parle dâune voix unanime. RenĂ© RĂ©mond sâest donc attachĂ© Ă rechercher des compromis, en sâinterdisant dâexprimer ses opinions personnelles pour ĂȘtre le porte-parole de lâensemble de la CPU. Cette attitude lui a permis quelques succĂšs, notamment un assouplissement des contraintes budgĂ©taires. En revanche, la CPU nâa pas rĂ©ussi Ă faire admettre lâorganisation rĂ©gionale prĂ©vue par la loi dâorientation, ni Ă empĂȘcher une modification des rĂšgles Ă©lectorales, questions politiquement trop sensibles. De toute façon, RenĂ© RĂ©mond nâĂ©tait quâun acteur parmi dâautres, et la CPU quâune instance, Ă cĂŽtĂ© des syndicats et surtout du Conseil national supĂ©rieur de lâenseignement et de la recherche CNESER. LâintĂ©rĂȘt majeur du travail de Charles Mercier, qui Ă©vite le biais inhĂ©rent Ă toute approche biographique de surestimer le rĂŽle de son hĂ©ros, est prĂ©cisĂ©ment de montrer lâinteraction des diffĂ©rents acteurs sur tous les thĂšmes discutĂ©s pendant cette pĂ©riode la formation des maĂźtres, la dĂ©finition des diplĂŽmes nationaux, notamment du DiplĂŽme dâĂ©tudes universitaires gĂ©nĂ©rales DEUG, quâil veut assouplir, la formation permanente et quelques autres. Il sâagit dâune contribution essentielle Ă lâhistoire des universitĂ©s. 152Avec Alice Saunier-SeĂŻtĂ© et la droitisation de la politique giscardienne, la centralisation reprend ses droits. La secrĂ©taire dâĂtat attache autant, sinon davantage dâimportance aux rĂ©unions de recteurs, et elle dĂ©tricote tout ce que RenĂ© RĂ©mond et la CPU avaient promu. Ă plus long terme cependant, le mouvement amorcĂ© se poursuit. MalgrĂ© lâamertume de RenĂ© RĂ©mond, lâavenir lui donne raison. 153Antoine ProstVilles et politiques urbainesReid Donald, Paris Sewers and Sewermen Realities and Representations, Cambridge, Harvard University Press, 1991 ; trad. fr., id., Ăgouts et Ă©goutiers de Paris rĂ©alitĂ©s et reprĂ©sentations, prĂ©f. de Michelle Perrot, trad. de lâangl. par HĂ©lĂšne Chuquet, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 256 p., 19 âŹ154 Lâhistoire des hommes se reflĂšte dans lâhistoire des cloaques », Ă©crivait Victor Hugo, aphorisme rappelĂ© par lâhistorien amĂ©ricain Donald Reid. Ăcrit en 1991 mais tout juste traduit en français, son ouvrage permet de descendre dans lâĂ©gout parisien, aux cĂŽtĂ©s des hommes qui lâentretiennent, et de retrouver une histoire qui sent pour dire la sociĂ©tĂ©, comme dans le Miasme et la Jonquille dâAlain Corbin [10]. Examinant les rĂ©alitĂ©s et reprĂ©sentations » de ce lieu prosaĂŻque, antithĂšse du sublime », lâauteur montre en quoi il devint [âŠ] un objet de sublimation ». 155La premiĂšre partie expose comment les Ă©gouts de lâAncien RĂ©gime et de la premiĂšre moitiĂ© du 19e siĂšcle, stagnants et puants, ajoutant au danger sanitaire le pĂ©ril politique aprĂšs la RĂ©volution, se transforment avec la rĂ©novation technique et administrative principalement rĂ©alisĂ©e sous le Second Empire. Pour parachever lâabandon du rapport mĂ©tonymique entre les Ă©gouts et la menace sociale », les Ă©diles en organisent la visite le public peut constater la propretĂ© et lâabsence dâodeurs preuve[s] de la rĂ©volution sanitaire » et de lâ ordre qui rĂ©gnait dans le souterrain ». Peut-ĂȘtre sâagit-il aussi de le confronter aux immondices dĂ©sormais maĂźtrisĂ©es, processus cathartique que lâauteur rapproche de la psychologie freudienne. La transformation de la fange en richesse peut aussi ĂȘtre physique, tels les fruits rĂ©coltĂ©s dans les champs irriguĂ©s par les eaux usĂ©es. 156La sublimation » vaut aussi pour les hommes. Donald Reid montre dans la deuxiĂšme partie de son ouvrage comment les Ă©goutiers passent dâ intouchable[s] de lâAncien RĂ©gime » Ă lâ incarnation de la santĂ©, de lâordre et de la civilisation », grĂące aussi aux Ă©crits de lâhygiĂ©niste Alexandre Jean-Baptiste Parent-DuchĂątelet qui les peint dans les annĂ©es 1830 en prolĂ©taires moraux ». Ils nâen restent pas moins, par la nature de leur travail mĂ©prisĂ©, en marge de la classe ouvriĂšre, donnant ainsi lâoccasion Ă des auteurs de la critique sociale », tel Auguste Blanqui, de mesurer [Ă travers leur cas] la valeur du travail et les valeurs de la sociĂ©tĂ© ». Les Ă©goutiers eux-mĂȘmes participent Ă la sublimation », comprend-on dans la derniĂšre partie. Leur syndicat, créé en 1887, prĂ©curseur en matiĂšre sociale au sein de la Ville de Paris et ciment de leur cohĂ©sion, contribue Ă ce quâils se rĂ©approprient lâimage de prolĂ©taires moraux » en en renouvelant la signification sociale et politique ». Ressort notamment lâimportance de la solidaritĂ© corporatiste[s] » pour la protection de leurs corps dans et hors du travail, visible dans lâentraide face aux dangers du sous-sol, et dans lâexistence dâun domaine collectif, la Colonie, destinĂ© Ă accueillir les retraitĂ©s et les orphelins du service. Si, au cours du 20e siĂšcle, les quelque huit cents Ă©goutiers ont peu eu besoin de faire banquette » pour dĂ©fendre leur position dâ aristocrates » de lâadministration parisienne, le dernier chapitre laisse voir comment les mesures adoptĂ©es aprĂšs lâarrivĂ©e dâun maire Ă Paris en 1977 dĂ©stabilisent le collectif, conduisant Ă une dĂ©mythification et dĂ©mystification de lâĂ©goutier ». 157MĂȘme si les trois parties distinguent Ă©gouts et Ă©goutiers, rĂ©alitĂ©s et reprĂ©sentations, une des forces du propos est de montrer quâelles sont entremĂȘlĂ©es, les unes influant sur les autres, notamment dans le processus de sublimation ». Lâouvrage de Donald Reid lui-mĂȘme y contribue, en nous promenant de lâobscure fange souterraine jusquâaux clartĂ©s des pages littĂ©raires et politiques consacrĂ©es Ă cet univers, en passant par lâespoir social quâil parvient Ă faire sourdre de lâĂ©vocation des forme[s] de coopĂ©ration et de camaraderie » des Ă©goutiers. 158Barbara ProstGodard Pierre et Donzel AndrĂ©, Ăboueurs de Marseille entre luttes syndicales et pratiques municipales, Paris, Syllepse, 2014, 228 p., 15 âŹ159Pourquoi Marseille est-elle sale ? Ă la suite du Grenelle des poubelles » rĂ©unissant en 2011 Ă©lus et associations Ă lâinvitation dâune intersyndicale des agents, un Ă©boueur syndicaliste marseillais, Pierre Godard, et un sociologue, AndrĂ© Donzel, apportent leurs Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse en liant diffĂ©rents plans dâanalyse la conjoncture politique locale, les mobilisations syndicales et les transformations techniques Ă lâĆuvre ». Lâouvrage retrace lâhistoire dâun service de propretĂ© qui nâa pas toujours dysfonctionnĂ© mais est soumis depuis une soixantaine dâannĂ©es aux pesanteurs dâun systĂšme municipal opaque ». 160On dĂ©couvre dâabord que la saletĂ© est un stigmate » de Marseille depuis lâAntiquitĂ©, guĂšre effacĂ© par les amĂ©liorations techniques et administratives amorcĂ©es au 19e siĂšcle. Concernant la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle, les auteurs pointent le systĂšme de cogestion clientĂ©laire des relations sociales avec le syndicat FO », mis en place aprĂšs la guerre par Gaston Defferre pour lutter contre le fort communisme local. Au nettoiement, le petit systĂšme » voit les responsables de secteur Ă©galement chefs de Force ouvriĂšre assurer la marche du service et gĂ©rer les quelque mille agents par un savant dosage dâautoritarisme et de favoritisme ». MalgrĂ© des grĂšves intervenues en 1976, 1982, 1983, etc., entre autres pour obtenir des rĂšgles plus conformes au service public, le petit systĂšme » perdure aprĂšs lâĂ©lection de Jean-Claude Gaudin en 1995. Les auteurs dĂ©noncent aussi les choix opĂ©rĂ©s pour la gestion des dĂ©chets, qui sâavĂšrent autant un Ă©chec financier le traitement concĂ©dĂ© au privĂ© est plus cher quâailleurs quâune source de turpitudes Ă©cologiques associĂ©es Ă des scandales politicofinanciers. 161 Ă cĂŽtĂ© de ces dĂ©rives, le âfini-partiâ est un problĂšme mineur. » Si AndrĂ© Donzel et Pierre Godard se saisissent Ă leur tour de ce totem incontournable dans le vocabulaire politique marseillais », câest pour montrer que sa mise Ă lâindex et le dĂ©bat sur son maintien sont de faux problĂšmes. Afin de contrecarrer le haro » sur les Ă©boueurs, les auteurs reviennent sur le sens des nombreuses grĂšves des derniĂšres annĂ©es, trĂšs mĂ©diatisĂ©es. Avec lâappui de leurs syndicats hĂ©tĂ©rodoxes », le but est toujours dâobtenir des rĂšgles claires » pour le fonctionnement du service, maniĂšre dâimpulser la nĂ©cessaire transformation du systĂšme de gestion des dĂ©chets dans son ensemble ». 162Il est donc possible que cet ouvrage Ă©claire moins les lecteurs souhaitant connaĂźtre les caractĂ©ristiques sociologiques et professionnelles de ces travailleurs, que ceux dĂ©sirant en savoir plus sur une histoire locale trĂšs conflictuelle », les affaires liĂ©es aux dĂ©chets et le petit systĂšme » contre lequel certains Ă©boueurs luttent pour leur intĂ©rĂȘt et celui du public. Lâouvrage souhaite en effet aussi nourrir la rĂ©flexion sur lâavenir dâun service urbain dans un contexte de mĂ©contentement gĂ©nĂ©ralisĂ© de la population quant Ă la qualitĂ© et au coĂ»t ». 163Barbara ProstRatouis Olivier dir., Bordeaux et ses banlieues la construction dâune agglomĂ©ration, GenĂšve, MĂ©tisPresses, VuesDensemble », 2013, 610 p., 54 âŹ164Quâest-ce quâune agglomĂ©ration ? Cette expression a-t-elle un sens au-delĂ de son utilisation massive par les Ă©lus et les amĂ©nageurs Ă partir de la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle ? Ce questionnement est Ă lâorigine de lâouvrage dirigĂ© par Olivier Ratouis, qui prend pour terrain dâĂ©tude la ville de Bordeaux et ses banlieues. Le livre est scandĂ© par sept parties chronologiques, chacune correspondant Ă une pĂ©riode de croissance et dâorganisation de lâespace urbain, depuis un long 18e siĂšcle 1701-1815 qui voit Bordeaux prendre forme autour de plans dâamĂ©nagement et dâassainissement, oĂč la question de lâeau est rĂ©currente dans tous les projets, jusquâĂ lâexposĂ© des dĂ©veloppements les plus rĂ©cents, avec lâintĂ©gration dâune vingt-huitiĂšme commune dans la CommunautĂ© urbaine de Bordeaux CUB en juillet 2013. 165LâoriginalitĂ© de ce travail est de se prĂ©senter sous la forme dâune anthologie de textes jugĂ©s reprĂ©sentatifs du fait urbain bordelais. Ces documents sont pour lâessentiel soit issus des fonds des archives municipales de Bordeaux, soit extraits de rapports dâactivitĂ©s, dâĂ©tudes techniques, de schĂ©mas dâamĂ©nagement, de revues, dâessais ou de journaux y compris tĂ©lĂ©visĂ©s qui donnent une profondeur historique remarquable au mot agglomĂ©ration ». Cent neuf notices mettent en perspective les textes. Elles comprennent une prĂ©sentation historique souvent fouillĂ©e, une bibliographie trĂšs utile et, dans de nombreux cas, un voire plusieurs documents iconographiques qui donnent chair au quartier ou Ă lâamĂ©nagement dont il est question. En fin de volume, une chronologie synthĂ©tise sur quelques pages les Ă©tapes de lâurbanisation bordelaise. Un cahier cartographique » rĂ©capitule en quelque sorte la croissance de la ville et de ses banlieues sur le plan spatial et dĂ©mographique. Lâensemble est servi par un excellent travail dâĂ©dition les trĂšs nombreuses cartes permettent au lecteur de visualiser la lente Ă©laboration de la ville Ă plusieurs Ă©chelles et sont complĂ©tĂ©es par des photographies de quartiers ou de couvertures de brochures qui rappellent Ă quel point la fabrique de lâagglomĂ©ration a suscitĂ© des dĂ©bats, y compris en dehors des cercles dâexperts ou des dĂ©cideurs. 166Lâouvrage mĂ©rite dâĂȘtre connu et reconnu Ă plusieurs titres. Il tĂ©moigne dâabord de la qualitĂ© dâun travail de recherche menĂ© en Ă©quipe, rĂ©digĂ© Ă plusieurs mains et qui a su tirer parti des compĂ©tences variĂ©es dâune vingtaine de collaborateurs enseignants-chercheurs, doctorants en amĂ©nagement, urbanistes et architectes. En outre, si deux tiers de lâouvrage sont consacrĂ©s Ă lâagglomĂ©ration bordelaise du 20e siĂšcle, lâhistorien pourra utiliser avec profit les notices concernant des pĂ©riodes plus anciennes, une annexe Avant lâagglomĂ©ration » situant en outre quelques enjeux prĂ©gnants de la premiĂšre modernitĂ©. Enfin, lâintroduction prĂ©sente entre autres une rĂ©flexion sur les usages pluriels du mot agglomĂ©ration » Ă la fois agrĂ©gation dâhabitants, espace et entitĂ© politique qui inscrit dans la longue durĂ©e lâhistoire des rapports entre une ville-centre et ses pĂ©riphĂ©ries, tout en mobilisant diffĂ©rentes sciences humaines et sociales. 167Olivier ChatelanVadelorge LoĂŻc, Retour sur les villes nouvelles une histoire urbaine du 20e siĂšcle, Paris, CrĂ©aphis, 2014, 466 p., 25 âŹ168Les neuf villes nouvelles créées au milieu des annĂ©es 1960 font partie de lâimaginaire urbain français, non sans ambivalences Cergy-Pontoise, Ăvry, Marne-la-VallĂ©e, Melun-SĂ©nart et Saint-Quentin-en-Yvelines, pour la rĂ©gion parisienne, auxquelles sâajoutent Le Vaudreuil, Lille-Est, LâIsle dâAbeau et les Rives-de-lâĂtang-de-Berre, incarnent Ă la fois un Ăąge dâor du gaullisme technocratique, le contre-modĂšle des grands ensembles, le temps des habitants pionniers de la participation et aujourdâhui une relĂ©gation qui les classerait dans la catĂ©gorie des banlieues en crise ». Câest Ă une dĂ©construction de ce prĂȘt-Ă -penser urbain, pour partie vĂ©hiculĂ© par la mĂ©moire des acteurs de lâamĂ©nagement, que lâauteur invite son lecteur, au travers dâune entreprise salutaire dâhistoricisation des villes nouvelles. 169Disons-le dâemblĂ©e le pari est rĂ©ussi. En sâappuyant sur un corpus riche et variĂ© dâarchives publiques versĂ©es par les diffĂ©rents ministĂšres et Ă©tablissements concernĂ©s, LoĂŻc Vadelorge rĂ©tablit la chronologie des diffĂ©rentes Ă©tapes de la conception puis de la mise en Ćuvre de ces agglomĂ©rations nouvelles, rectifiant au passage bon nombre dâidĂ©es reçues. Dans la premiĂšre partie, intitulĂ©e La question des origines », lâauteur montre en particulier que la rupture de 1965, qui attribue lâessentiel de la paternitĂ© des villes nouvelles Ă Paul Delouvrier et au SchĂ©ma directeur dâamĂ©nagement et dâurbanisme de la rĂ©gion parisienne SDAURP, ne rĂ©siste pas Ă lâanalyse. En amont de ce lĂ©gendaire, les villes nouvelles sont Ă comprendre comme une rĂ©ponse aux contradictions de lâamĂ©nagement du territoire et Ă situer dans la continuitĂ© des mesures prises sous la QuatriĂšme RĂ©publique en faveur du logement. Au cĆur de cet hĂ©ritage oubliĂ© », la place des rĂ©flexions de la gĂ©ographie volontaire » ou appliquĂ©e » des annĂ©es 1950, Ă©tudiĂ©es dans des travaux rĂ©cents, est essentielle la planification rĂ©gionale pose des questions fondamentales sur les formes et sur la maĂźtrise de lâurbanisation au tournant des dĂ©cennies 1950-1960, au moment oĂč les conditions juridiques et administratives des villes nouvelles sont mises en place, et leur usage sĂ©mantique stabilisĂ©. 170DĂšs lors, le moment Delouvrier », objet de la deuxiĂšme partie, ne peut plus ĂȘtre celui de la fondation de ce nouvel urbanisme, produit dâune Ă©poque plus que dâune Ă©quipe, mais bien celui dâune triple prĂ©occupation chez les rĂ©dacteurs du SDAURP utiliser les prĂ©visions de forte croissance dĂ©mographique dĂ©jĂ connues comme fondement dâune nouvelle politique ; gagner la bataille de lâopinion par une vĂ©ritable stratĂ©gie mĂ©diatique, en mobilisant enquĂȘtes, revues spĂ©cialisĂ©es et journaux grand public ; enfin, contourner les rĂ©ticences des architectes et des urbanistes en sâappuyant sur les sciences sociales alors en plein essor, qui trouvent dans cette impulsion de lâĂtat, sans parler des commandes, quelques terrains dâentente la dĂ©nonciation des grands ensembles alors mĂȘme que lâauteur montre des rameaux communs avec les villes nouvelles ou la promotion de lâespace et du loisir comme nouveaux paradigmes. 171MalgrĂ© les rĂ©ticences de plusieurs acteurs celle de nombreux Ă©lus locaux, forts de leur lĂ©gitimitĂ© dĂ©mocratique, nâĂ©tant pas la moindre, les villes nouvelles entrent au dĂ©but des annĂ©es 1970 dans le temps de leur mise en Ćuvre empirique troisiĂšme partie du livre, appuyĂ©e sur une rhĂ©torique ad hoc lâ innovation » et sur la mobilisation des habitants, dont lâauteur sâattache lĂ encore Ă nuancer, documents Ă lâappui, la vision dâun Ăąge dâor pionnier, participatif et prĂ©-animateur. 172DĂ©passant le cadre des monographies et la seule problĂ©matique de la dĂ©cision, LoĂŻc Vadelorge construit avec brio une histoire globale des villes nouvelles inscrite plus largement dans lâhistoire des politiques publiques et de la rĂ©forme de lâĂtat. 173Olivier ChatelanCochoy Franck, Aux origines du libre-service Progressive Grocer 1922-1959, Lormont, Le Bord de lâeau, Mondes marchands », 2014, 340 p., 24 âŹ174Ă lâorigine de cette recherche, deux missions de lâauteur Ă Berkeley et Ă Chicago. SpĂ©cialiste de la mĂ©diation marchande, Franck Cochoy avait de bonnes raisons de sâintĂ©resser Ă Progressive Grocer, la revue professionnelle de lâĂ©picerie de dĂ©tail indĂ©pendante amĂ©ricaine, lancĂ©e en 1922. Articulant sociologie et histoire, il consacre son nouveau livre Ă lâhistoire du libre-service du point de vue de cette revue. Loin de subir passivement la pression des chaĂźnes ou des supermarchĂ©s, le secteur du petit commerce alimentaire se rĂ©vĂšle en effet ĂȘtre un extraordinaire laboratoire de la modernisation des formes de vente. 175Le pari mĂ©thodologique repose sur la focalisation mĂ©diale, une approche qui consiste Ă chausser les lunettes dâun mĂ©dia spĂ©cialisĂ© pour observer le devenir du monde concernĂ© » p. 321. VoilĂ lâoccasion de juger de la performativitĂ© de ce mĂ©dia, un concept utilisĂ© ici en vue dâĂ©tudier le rĂŽle par lequel les agents Ă©conomiques participent Ă la construction technique des marchĂ©s. Progressive Grocer mobilise les mots et les choses en vue de moderniser le commerce, introduisant dans le rapport entre lâoffre et la demande de nouveaux Ă©quipements ou des idĂ©es qui nâĂ©taient a priori pas Ă©videntes. Pourtant, cette performativitĂ© promeut des choses sur le point de se dĂ©velopper, presque par elles-mĂȘmes. Prophetic » Grocer prescrit les choses qui se produisent ! 176Cette modernisation sâopĂšre au grĂ© de deux mouvements. Dâabord, sous la forme dâune amĂ©lioration du service humain classique, Ă grand renfort de soin sanitaire, dâoutillage des gestes Ă©piciers, de vente tĂ©lĂ©phonique et de livraison motorisĂ©e ; elle rĂ©pond au souci quâont les commerçants de prĂ©server lâessence de leur identitĂ© professionnelle le service. La modernisation prend ensuite la forme dâune transformation plus radicale, dans laquelle lâintroduction progressive de lâ open display » et du libre-service vient finalement supplĂ©er, voire remplacer les vendeurs. Cette transformation consiste Ă amĂ©nager trĂšs Ă©troitement la libre circulation des personnes, en introduisant dâastucieux dispositifs de canalisation des parcs et dâidentification des marques des produits et de la clientĂšle. Lâauteur aborde enfin la façon dont lâintroduction des chariots parachĂšve la reconfiguration du commerce en accroissant les capacitĂ©s de circulation et dâachat, en somme, de laisser faire » le client. 177Au rebours de la littĂ©rature disponible sur le sujet, Franck Cochoy propose une archĂ©ologie du temps prĂ©sent » reposant sur une foule dâillustrations et de photographies. Elle nous permet de saisir le quotidien dâun commerce au ras des Ă©tagĂšres », le plus souvent impossible Ă apprĂ©hender grĂące aux sources Ă©crites. Cet ouvrage original, surprenant parfois, complĂšte les recherches de Catherine GrandclĂ©ment sur le libre-service dans les supermarchĂ©s Ă©tats-uniens et ouvre la perspective dâune Ă©tude du sujet pour la France. Ă dĂ©faut dâĂȘtre comparatif, dirons-nous quâil est performatif ? 178Olivier LondeixLauras Clarisse, Firminy-Vert de lâutopie municipale Ă lâicĂŽne patrimoniale, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Art SociĂ©tĂ© », 2014, 361 p., 24 âŹ179Parmi les expĂ©rimentations urbaines et sociales marquantes du 20e siĂšcle en France figure assurĂ©ment celle de Firminy dans la Loire. AprĂšs son Ă©lection comme maire en 1953, lâancien rĂ©sistant et ministre de la Reconstruction EugĂšne Claudius-Petit, par ailleurs dĂ©putĂ© Union dĂ©mocratique et socialiste de la RĂ©sistance UDSR, dĂ©cide la construction dâun nouveau quartier qui doit traduire sa vision urbanistique des citĂ©s modernes et humaines. Celle-ci se fonde Ă la fois sur son passĂ© de militant inspirĂ© des idĂ©es du catholicisme social et sur son expĂ©rience de ministre qui, entre 1948 et 1953, a jetĂ© les bases du vaste programme de construction appelĂ© Ă marquer la France des Trente Glorieuses. 180Pour mener Ă bien ce vaste chantier, Claudius-Petit fait appel Ă une Ă©quipe dâarchitectes dont certains se sont connus dans la RĂ©sistance. FidĂšles aux principes de la Charte dâAthĂšnes et de lâarchitecture moderne, les concepteurs du projet Firminy-Vert entendent promouvoir un nouvel art dâhabiter et de vivre pour les quelques milliers de locataires qui seront logĂ©s dans ce nouveau quartier. Le projet porte en outre lâambition de faire de ces derniers des acteurs Ă part entiĂšre, au moyen dâune participation active sous forme de gouvernement municipal pour une gestion de progrĂšs ». Un demi-siĂšcle plus tard, force est de constater que ce projet, en partie utopique, a fortement Ă©voluĂ© et est dĂ©sormais intĂ©grĂ© aux programmes de patrimonialisation liĂ©s aux projets de rĂ©novation urbaine. Cette biographie de quartier », selon les mots de lâauteur, met lâaccent sur les enjeux locaux et sur le contexte politique, social, urbanistique de lâĂ©poque. Si la mĂ©moire collective a en effet surtout retenu les rĂ©alisations architecturales rĂ©alisĂ©es Ă Firminy-Vert par Le Corbusier qui, pour certaines dâentre elles, ont Ă©tĂ© achevĂ©es il y a peu, il est essentiel de replacer le projet dĂ©fendu par EugĂšne Claudius-Petit pendant prĂšs de vingt ans dans une problĂ©matique plus large qui renvoie en partie Ă lâhistoire urbaine de la seconde moitiĂ© du 20e siĂšcle. Richement illustrĂ©, cet ouvrage sâinscrit Ă©galement dans de nouvelles perspectives de recherches, telles que lâimpact de lâurbanisation sur la faune et la flore locales. En cela, lâhistoire de Firminy-Vert doit Ă©galement sâinscrire dans une relecture plus globale des Trente Glorieuses. 181Thibault TellierBackouche Isabelle, AmĂ©nager la ville les centres urbains français entre conservation et rĂ©novation de 1943 Ă nos jours, Paris, Armand Colin, Recherches », 2013, 480 p., 30 âŹ182Le livre sâorganise autour dâun objet, les abords, a priori peu engageant scientifiquement et gĂ©nĂ©ralement peu considĂ©rĂ©, mais que lâauteure a su remarquablement placer au centre de lâanalyse. De quoi sâagit-il ? 183La Commission supĂ©rieure des monuments historiques puis la Commission des abords Ă partir de 1964 ont pour mission dâexaminer des projets urbains susceptibles dâĂȘtre rĂ©alisĂ©s Ă proximitĂ© dâun monument historique et Ă©mettent des avis sur la compatibilitĂ© entre les deux constructions. LâintĂ©rĂȘt de lâĂ©tude rĂ©side, on le comprend, dans lâapprĂ©ciation nĂ©cessairement discutĂ©e de cette compatibilitĂ©, qui ouvre un immense espace de travail au chercheur, du jeu des acteurs aux variations dâĂ©chelles, dâune histoire croisĂ©e de lâarchitecture et de la ville aux rapports complexes et passionnants entre administration et politique. Le pari nâĂ©tait pas gagnĂ© dâavance, pour deux raisons au moins lâauteure rappelle dâabord que la question des abords, qui renvoient par dĂ©finition Ă autre chose quâeux-mĂȘmes, ne constitue Ă aucun moment le fleuron dâun ministĂšre ni ne sert de matrice Ă lâĂ©laboration dâune politique urbaine. La dispersion des sources sâen trouve, en outre, dĂ©multipliĂ©e. Seconde donnĂ©e quelque peu rebutante lâĂ©tude des dossiers traitĂ©s par la Commission des abords introduit dans une routine bureaucratique au ras de la ville, en traquant les processus souvent longs de la prise de dĂ©cision, et ce dans un dĂ©dale de considĂ©rations techniques portant sur des projets de portĂ©e locale pour la majoritĂ© dâentre eux. 184Cependant, câest bien lĂ le tour de force de lâauteure, qui nâest pas sans rappeler les meilleures intuitions de la micro-histoire au cĆur de cette histoire urbaine de biais » p. 14 qui sâapparente Ă une coupe gĂ©ologique dans ce que lâon pourrait appeler la matiĂšre locale brute », la contextualisation du particulier instruit des enjeux plus larges et permet une montĂ©e en gĂ©nĂ©ralitĂ© maĂźtrisĂ©e. Le pas de cĂŽtĂ© change la perspective et donne Ă voir ce qui ne lâĂ©tait pas ou mal la transformation urbaine entre strates passĂ©es et projets dâamĂ©nagement urbain qui aboutissent ou non, mais aussi lâĂ©cart entre textes rĂ©glementaires et mises en pratique, en mettant en lien normativitĂ© des procĂ©dures et compromis sur le terrain. Lâhistorienne puise dans un vaste panel de villes, notamment de taille moyenne Carcassonne, Rodez, Toul, Troyes, etc., habituellement moins travaillĂ©es, qui constituent des observatoires passionnants. Le cas de la facultĂ© des lettres de Tours 1965-1969, voulue par son maire Jean Royer contre lâavis de la Commission des abords, est une belle illustration de la richesse des dossiers exhumĂ©s par lâauteure les Ă©chelles et les acteurs concernĂ©s sont multiples municipalitĂ©, prĂ©fecture, rectorat, Conseil gĂ©nĂ©ral des bĂątiments de France, ministĂšres des Affaires culturelles et de lâĂducation nationale, les argumentaires Ă©changĂ©s rĂ©vĂ©lateurs Ă la fois dâambitions et dâaccommodements, et lâarbitrage rendu assez inattendu câest le Premier ministre Maurice Couve de Murville qui valide le projet. Un grand livre dâhistoire urbaine, assurĂ©ment. 185Olivier ChatelanĂchanges culturelsBaudouin Charles, Un pays et des hommes carnet de route 1915-1919, Ă©dition Ă©tablie par Martine Ruchat, Antoinette Blum et Doris Jakubec, Lausanne, LâĂge dâHomme, 2014, 336 p., 30 âŹ186On ne savait jusquâalors que trĂšs peu de chose des activitĂ©s de Charles Baudouin 1893-1963 pendant la Grande Guerre. Ă lâexception des quelques travaux dâAntoinette Blum et Martine Ruchat, rares avaient en effet Ă©tĂ© les chercheurs Ă sâĂȘtre intĂ©ressĂ©s Ă cette pĂ©riode de sa vie. En choisissant de publier la partie de son Carnet de route que Baudouin avait consacrĂ©e aux annĂ©es 1915-1919, les Ă©ditions LâĂge dâHomme ont apportĂ© la matiĂšre qui manquait peut-ĂȘtre pour susciter lâintĂ©rĂȘt des spĂ©cialistes du premier conflit mondial. 187Surtout connu pour avoir fondĂ© en 1924 un institut international de psychothĂ©rapie et de psychanalyse pratiquant lâautosuggestion, Baudouin a Ă©galement Ă©tĂ© un Ă©crivain, un poĂšte et un traducteur dont le profil a commencĂ© Ă sâaffirmer Ă partir du moment oĂč il rejoignit la Suisse en octobre 1915. MobilisĂ© en 1914 mais rĂ©formĂ© pour cause de tuberculose pulmonaire, il fut de ceux qui, impressionnĂ©s par Au-dessus de la mĂȘlĂ©e », cherchĂšrent le contact avec Romain Rolland, comme en tĂ©moigne abondamment le premier chapitre du journal. La deuxiĂšme partie est presque tout entiĂšre placĂ©e sous le signe du Carmel » p. 67, petite revue » quâil lança en 1916 afin dâapporter une contribution collective Ă la dĂ©mobilisation culturelle ainsi quâĂ lâĂ©mergence dâune Europe pacifiĂ©e. 188Les trois chapitres suivants attirent surtout lâattention par les descriptions des milieux autour desquels gravitait Charles Baudouin. Hormis Henri Guilbeaux, Pierre Jean Jouve, Frans Masereel et Stefan Zweig, Baudouin consacre un nombre non nĂ©gligeable de pages Ă la description de Russes fanatiques de TolstoĂŻ Paul Birukoff, Nicolas Roubakine. Chose Ă©tonnante, alors que les sommaires du Carmel tĂ©moignent de lâintĂ©rĂȘt quâil portait pour lâAllemagne, Ă lâexception de Georg Friedrich NicolaĂŻ, objet dâun long dĂ©veloppement dans la quatriĂšme partie p. 171-173, les dissidents allemands nâoccupent quâune place mineure dans les sociabilitĂ©s transnationales quâil dĂ©crit. Cette absence nâaffecte en rien lâimportance de cette publication, un instrument de choix pour quiconque souhaite reconstituer la trajectoire de Charles Baudouin et dĂ©coudre le tissu humain des rĂ©seaux dont la Suisse fut, parmi tous les pays restĂ©s neutres, le plus puissant vecteur. 189LâĂ©dition Ă©tablie par Martine Ruchat, Antoinette Blum et Doris Jakubec reprend le texte intĂ©gral du manuscrit de 1942, qui avait dĂ©jĂ fait lâobjet dâun important travail de réécriture en 1929 et que Baudouin revisita en 1952. De la version de 1952, les Ă©ditrices ont fait le choix de ne retenir que les passages Ă mĂȘme dâenrichir le regard rĂ©trospectif que lâauteur avait portĂ© sur les annĂ©es de guerre. Choisir le manuscrit de 1942 comme point de dĂ©part Ă©tait tout Ă fait lĂ©gitime, Baudouin lui-mĂȘme ayant prĂ©vu de le publier tel quel chez Delachaux et NiestlĂ©. Ajouter des extraits dâune mouture plus tardive et basĂ©e, qui plus est, sur un autre dĂ©coupage temporel, complexifiait nĂ©anmoins considĂ©rablement le travail. On pourrait Ă juste titre faire valoir que lâinsertion de ces passages Ă la suite de chacune des cinq parties de lâouvrage hache la lecture. La prĂ©sentation retenue a toutefois pour mĂ©rite de montrer avec pertinence comment lâĂ©criture postchronique de Charles Baudouin a encore Ă©voluĂ© dans un contexte qui avait, lui aussi, profondĂ©ment changĂ©. 190Landry CharrierFraixe Catherine, Piccioni Lucia et Poupault Christophe dir., Vers une Europe latine acteurs et enjeux des Ă©changes culturels entre la France et lâItalie fasciste, Bruxelles/Paris, Peter Lang/Institut national dâhistoire de lâart, 2014, 330 p., 40 âŹ191Catherine Fraixe, Lucia Piccioni, toutes deux historiennes de lâart, et Christophe Poupault, spĂ©cialiste des rĂ©seaux culturels franco-italiens, ont rassemblĂ© ici le rĂ©sultat de deux journĂ©es dâĂ©tude tenues en juin 2009 Ă lâĂcole des hautes Ă©tudes en sciences sociales EHESS et consacrĂ©es aux acteurs et enjeux idĂ©ologiques des Ă©changes et transferts culturels entre la France et lâItalie 1925-1935 ». Lâouvrage collectif qui en rĂ©sulte rĂ©unit quatorze contributions dont cinq en italien, certaines richement illustrĂ©es ; il parcourt la pĂ©riode allant de la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale Ă ce qui est considĂ©rĂ© par les directeurs de lâouvrage comme le point culminant du rapprochement entre la France et lâItalie fasciste, soit les accords de Rome en janvier 1935. 192Lâouvrage sâinscrit, au sens large, dans les Ă©tudes transnationales en vogue aujourdâhui, lâidĂ©e Ă©tant dâanalyser les Ă©changes culturels et leurs impacts idĂ©ologiques et politiques dans le rapprochement de la France et de lâItalie fasciste. Point focal annoncĂ©, la latinitĂ© », concept flou, Ă gĂ©omĂ©trie variable mais qui, selon Catherine Fraixe et Christophe Poupault, joue un rĂŽle clĂ© dans les tentatives dâunion dâune intelligentsia française, non seulement italophile, mais fascisante, avec lâItalie de Benito Mussolini. La latinitĂ© », dĂ©finie comme un mythe fĂ©dĂ©rateur », puisquâelle postule une vĂ©ritable parentĂ© culturelle, unique en Europe », fait donc lâobjet dâune analyse visant Ă envisager ses multiples ramifications, principalement culturelles, tout au long des annĂ©es 1920 et 1930. 193Lâouvrage voue une attention particuliĂšre aux rĂ©seaux officiels diplomatiques, politiques et Ă leurs acteurs, mais il sâintĂ©resse aussi Ă la constellation dâassociations comme la Ligue dâunion latine, de mouvements politiques comme lâAction française et dâorganisations politicoculturelles dont certaines maisons dâĂ©dition, comme Les Chroniques du jour de Gualtieri di San Lazzaro, qui avaient pour mot dâordre et raison dâĂȘtre la cause » ou la fraternitĂ© » latine ». Le ComitĂ© France-Italie, créé Ă la veille de la PremiĂšre Guerre mondiale et prĂ©sidĂ©, dĂšs 1929, par Albert Besnard, membre de lâAcadĂ©mie des Beaux-Arts et de lâAcadĂ©mie française, y occupe une place Ă part et, selon les contributeurs, sans doute dĂ©terminante. 194Vers une Europe latine propose des contributions de spĂ©cialistes, majoritairement des historiens de lâart, et permet dâaborder sous un angle particulier ce que Catherine Fraixe et Christophe Poupault appellent la rĂ©alitĂ© dâun fascisme français dont le discours reste en grande partie Ă Ă©tudier » p. 278. Cependant, lâouvrage pĂšche par une attention insuffisante au contexte dans lequel se nouent les relations et les intenses Ă©changes culturels entre la France et lâItalie fasciste. Il manque ainsi une analyse de ces rĂ©seaux dâacteurs culturels en termes sociaux, Ă©conomiques et politiques, mais aussi de la rĂ©alitĂ© du fascisme italien au cours de cette pĂ©riode, en particulier de sa politique Ă©trangĂšre. LâentrĂ©e par les Ă©changes et les transferts culturels permet certes de vĂ©rifier Ă nouveaux frais que ceux-ci Ă©taient essentiels Ă la diffusion de la culture de lâItalie nouvelle » et dâobserver la fascisation des Ă©lites françaises » p. 277, mais elle ne peut en aucun cas faire oublier la complexitĂ© de lâimpĂ©rialisme fasciste et de la politique extĂ©rieure qui lâaccompagne au cours de ces annĂ©es. 195Lâouvrage souffre aussi dâune focalisation imparfaite sur le concept de latinitĂ© » qui, Ă la lecture des contributions, semble sâeffilocher sans offrir ni une dĂ©finition ni une analyse de ce que Catherine Fraixe et Christophe Poupault nomment un vecteur Ă part entiĂšre de la politique Ă©trangĂšre » p. 278. Ainsi en est-il de lâarticle, intĂ©ressant par ailleurs, de Laura Iamurri sur lâantifasciste italien et historien de lâart Lionello Venturi. Enfin, si les contributions approchent les chantres de la latinitĂ© qui entendaient prĂ©parer les esprits non seulement Ă une entente avec lâItalie fasciste mais aussi Ă lâinstauration dâun rĂ©gime dâordre », il nâoffre que peu dâĂ©lĂ©ments analytiques pour lâĂ©tude du fascisme français ». Il sâagit lĂ nĂ©anmoins dâune premiĂšre Ă©tape bienvenue devant mener Ă de nouvelles recherches sur les Ă©changes culturels et politiques entre la France et lâItalie fasciste ; la richesse des contributions prĂ©sentĂ©es ici semble le confirmer. 196Stefanie PreziosoFontaine Alexandre, Aux heures suisses de lâĂ©cole rĂ©publicaine un siĂšcle de transferts culturels et de dĂ©clinaisons pĂ©dagogiques dans lâespace franco-romand, Paris, Demopolis, 2015, 307 p., 29,50 âŹ197Issu dâune thĂšse de doctorat soutenue Ă Fribourg en 2013, lâouvrage est centrĂ© sur le personnage dâAlexandre Daguet 1816-1894. Cet ancien Ă©lĂšve des jĂ©suites est trĂšs marquĂ© par sa rencontre avec le pĂšre franciscain GrĂ©goire Girard, un des promoteurs de lâenseignement mutuel. Daguet est directeur de lâĂcole normale puis de lâĂcole secondaire de jeunes filles de Fribourg. Il fonde la SociĂ©tĂ© des instituteurs romands en 1864 et dirige son bulletin, LâĂducateur, jusquâen 1889. Il est en contact avec de nombreux spĂ©cialistes europĂ©ens de lâĂ©ducation par ce bulletin, par une abondante correspondance trois mille lettres ainsi que par des contacts directs avec les Français rĂ©fugiĂ©s politiques ou autres qui sĂ©journent en Suisse Ă lâĂ©poque du Second Empire en particulier Edgar Quinet et Ferdinand Buisson. Il participe Ă diverses rencontres internationales telles que les congrĂšs de la Ligue nationale pour la paix et la libertĂ© et les assemblĂ©es de spĂ©cialistes de lâĂ©ducation qui se tiennent dans le cadre des Expositions universelles. 198La Suisse romande et, Ă travers elle, le monde germanique sont une rĂ©fĂ©rence pour les thĂ©oriciens et les acteurs de la politique française dâĂ©ducation. Lâauteur en donne plusieurs exemples. Les pĂšres Girard et Daguet ont lâidĂ©e dâune Ă©ducation civique » et le Fribourgeois Louis Bornet publie en 1856 un Cours graduĂ© dâinstruction civique qui inspire Edgar Quinet et Jules Barni. Quand, en France, lâenseignement de la gymnastique devient obligatoire pour les garçons, le Manuel que fait diffuser Jules Ferry en 1882 sâinspire de celui quâa publiĂ© la ConfĂ©dĂ©ration suisse en 1876. Les bataillons scolaires », créés en 1882, sont une adaptation des corps de cadets » suisses Ă la crĂ©ation desquels Daguet a contribuĂ©. Les Ferien-Kolonien organisĂ©es par le pasteur de Suisse alĂ©manique Bion en 1876 servent dâexemple aux premiĂšres colonies de vacances françaises lancĂ©es dans le neuviĂšme arrondissement de Paris en 1879. 199La circulation nâest pas Ă sens unique comme le montre, au dĂ©but du 19e siĂšcle, lâexpĂ©rience de lâenseignement mutuel et comme en tĂ©moigne lâintĂ©rĂȘt portĂ© par les Suisses Ă la politique scolaire de la TroisiĂšme rĂ©publique. Alexandre Fontaine met en valeur les notions dâ apports rĂ©ciproques », dâ hybridation », de mĂ©tissage », de resĂ©mentisation » des pratiques pĂ©dagogiques française, romande et germanique. Le dĂ©veloppement de lâenseignement de la musique dans le cadre scolaire en est un exemple. 200Le discours sur les concepts est intĂ©ressant mais on aurait aimĂ© que le rĂ©cit des divers transferts idĂ©ologiques et institutionnels mentionnĂ©s ci-dessus soit plus dĂ©taillĂ©. RelĂ©guĂ© en fin de volume, il nâa droit quâĂ 16 % des pages. 201Cet ouvrage est Ă lire conjointement avec une autre thĂšse de doctorat, celle de Damiano Matasci, soutenue en 2012 en cotutelle entre lâUniversitĂ© de GenĂšve et lâĂcole des hautes Ă©tudes en sciences sociales EHESS de Paris et publiĂ©e Ă©galement en 2015 [11]. 202Jean LeducAmĂ©rique latineCapdevila Luc et Langue FrĂ©dĂ©rique dir., Le PassĂ© des Ă©motions dâune histoire Ă vif, AmĂ©rique latine et Espagne, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Des AmĂ©riques », 2014, 204 p., 19 âŹ203Cet ouvrage sur les Ă©motions prĂ©sente les rĂ©sultats de travaux menĂ©s par le groupe de recherche Histoire des sensibilitĂ©s Ă©criture de lâhistoire et Ă©motions dans les mondes ibĂ©riques ». Les deux responsables de ce groupe et auteurs de la prĂ©sente livraison avaient dĂ©jĂ publiĂ© un ouvrage sur ces questions en 2009 [12]. 204Mettant cette fois-ci au centre de la rĂ©flexion la notion dâĂ©motion, mise Ă lâĂ©preuve des diffĂ©rents rĂ©gimes dâhistoricitĂ© qui travaillent lâhistoire du temps prĂ©sent latino-amĂ©ricain et espagnol, cet ouvrage est organisĂ© en deux parties, oĂč la dialectique entre mĂ©moire et Ă©motions est travaillĂ©e par les diffĂ©rents contributeurs. Elles sont toutes deux introduites par un article programmatique qui nourrit la rĂ©flexion, en particulier celui sur lâapport des sciences cognitives, pour repenser lâĂ©conomie gĂ©nĂ©rale des Ă©motions Alejandro GĂłmez. 205La premiĂšre partie sâintĂ©resse Ă la mĂ©moire des corps » et aborde cette problĂ©matique comme manifestation collective, des corps handicapĂ©s Gildas BrĂ©gain ou endeuillĂ©s Sandra Gayol, et sous lâangle plus intime et individuel des corps de femmes mutilĂ©s, oĂč câest lâabsence de traces de ces Ă©motions qui est auscultĂ©e Rosalina Estrada Urroz, renvoyant Ă une dimension plus Ă©pistĂ©mologique de ce champ, Ă savoir la valeur heuristique de lâĂ©motion en tant que matiĂšre premiĂšre de lâhistorien. Par principe, elle se dĂ©robe et ses traces sont Ă©vanescentes. NĂ©anmoins, les modernistes, prĂ©curseurs en la matiĂšre, ont dĂ©montrĂ© la fĂ©conditĂ© de lâapproche par le sensible et les Ă©motions, considĂ©rĂ©es comme manifestations du social, faisant du corps une archive. 206Les contributions de la seconde partie, les Ă©motions de la mĂ©moire », mettent en tension lâarticulation entre les rĂ©gimes dâhistoricitĂ© et lâinstrument que peuvent devenir les Ă©motions dans le champ du politique instrument de mobilisation, de cristallisation des tensions, voire des haines politiques et dâenjeux mĂ©moriels. 207Si lâhistoire des Ă©motions est un champ relativement neuf, son façonnement sâinscrit dans une archĂ©ologie dĂ©jĂ ancienne, dont se sont plus prĂ©cocement emparĂ©s les modernistes et lâhistoriographie anglo-saxonne et dont rend compte lâouvrage. Câest ce que rappellent Ă©galement, chacun dans une perspective quelque peu diffĂ©rente, deux autres publications en histoire contemporaine parues au mĂȘme moment [13]. Le PassĂ© des Ă©motions les complĂšte, tout en enrichissant le dĂ©bat et le terrain dâĂ©tude notamment parce que les mondes ibĂ©riques contemporains sont absents de ces deux autres titres. 208VĂ©ronique HĂ©brardDrinot Paulo et Knight Alan dir., The Great Depression in Latin America, Durham, Duke University Press, 2014, 362 p., 26,95 $209La crise de 1929 a reprĂ©sentĂ©, pour lâAmĂ©rique latine comme pour le reste du monde, une rupture majeure de lâhistoire du 20e siĂšcle. Plusieurs auteurs ont mis en lumiĂšre les impacts tant Ă©conomiques que politiques que la crise avait eus dans le sous-continent, faisant de cette derniĂšre un des facteurs de premier plan pour expliquer lâĂ©mergence, au cours des annĂ©es 1930 et 1940, de rĂ©gimes populistes et, de maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâaccroissement du rĂŽle de lâĂtat. NĂ©anmoins, il nâexiste aucun travail qui fasse des consĂ©quences de la crise de 1929 en AmĂ©rique latine son principal objet dâĂ©tude et qui tente dâen cerner les implications aussi bien Ă©conomiques que politiques, sociales et institutionnelles Ă lâĂ©chelle de la rĂ©gion. Lâouvrage The Great Depression in Latin America, coordonnĂ© par Paulo Drinot Institute of the Americas, University College of London et par Alan Knight University of Oxford, rassemblant neuf articles, en plus de lâintroduction de Paulo Drinot et de la conclusion dâAlan Knight, a pour but de combler cette lacune historiographique. Il sâagit tout Ă la fois dâavoir une vision dâensemble de ce quâa pu reprĂ©senter la crise dans la rĂ©gion, tout en rendant compte de la diversitĂ© des situations nationales. Le postulat de dĂ©part est que la rĂ©cession a créé un contexte politique et idĂ©ologique favorable au changement ; cependant, ce changement nâa pas prĂ©sentĂ© les mĂȘmes caractĂ©ristiques dâun pays Ă lâautre. Tandis que chacun des neuf articles sâattache Ă un pays ou Ă une zone AmĂ©rique centrale, Argentine, BrĂ©sil, Chili, Colombie, Cuba, Mexique, PĂ©rou, Venezuela, celui dâAlan Knight qui clĂŽt le livre sâefforce dâoffrir une rĂ©elle perspective comparatiste et de dresser des typologies, en termes Ă©conomiques, politiques et sociaux. Ce faisant, il parvient Ă offrir une vision globale de la rĂ©gion tout en restituant la diversitĂ© des situations nationales. 210Sans remettre en cause la perception de la crise de 1929 comme rupture, le propos de cet ouvrage est de tenter dâĂ©valuer le poids rĂ©el de cette derniĂšre dans les bouleversements qui affectent le sous-continent au cours des annĂ©es 1930 et 1940 et de montrer quâelle a souvent Ă©tĂ© un catalyseur de tendances qui lui Ă©taient antĂ©rieures. Le point de vue exposĂ© par ce livre complĂšte celui dâauteurs qui, Ă lâinstar de lâhistorien chilien Eduardo DevĂ©s ValdĂ©s, ont analysĂ© comment, Ă la suite de la crise Ă©conomique, les rĂ©flexions autour de lâidentitĂ© nationale et de lâidentitĂ© latino-amĂ©ricaine se sont polarisĂ©es de plus en plus autour des questions Ă©conomiques, la dĂ©fense de lâintĂ©rĂȘt national devenant un leitmotiv et dĂ©bouchant sur lâĂ©mergence dâune pensĂ©e Ă©conomique centrĂ©e sur les rĂ©alitĂ©s du sous-continent. 211Pour conclure, la grande force de ce livre rĂ©side dans lâarticulation des Ă©chelles internationale en particulier dans lâintroduction de Paulo Drinot, nationale et rĂ©gionale. 212Juliette DumontPoniatowska Elena, La Nuit de Tlatelolco histoire orale dâun massacre dâĂtat, trad. de lâesp. par Marion Gary et Joani Hocquenghem, Toulouse, Ăd. CMDE, Ă lâombre du Maguey », 2014, 328 p., 25 âŹ213Voici enfin la traduction de lâun des ouvrages indispensables consacrĂ©s au mouvement Ă©tudiant soixante-huitard mexicain et Ă son dĂ©nouement tragique, le massacre menĂ© par lâarmĂ©e le 2 octobre 1968 des manifestants prĂ©sents Ă Tlatelolco, un quartier de Mexico. Ce recueil publiĂ© en 1971 est rapidement devenu un classique rĂ©ussissant le pari de rassembler les tĂ©moignages trĂšs divers et courts dâune simple phrase Ă une demi-page des diffĂ©rents acteurs de ce mouvement. DĂ©filent ainsi au fil des pages les tĂ©moignages dâĂ©tudiants, anonymes comme leaders du mouvement, exposant leurs idĂ©es et leurs actes. 214Le recueil, dâailleurs, ne se limite pas Ă ces acteurs essentiels, son ambition Ă©tant de fournir un cadre de comprĂ©hension plus global de la sociĂ©tĂ© mexicaine avec ses contradictions et ses points de vue divergents face au mouvement Ă©tudiant. Sont ainsi prĂ©sentĂ©es des conversations de rue, des confrontations verbales dures entre les orateurs Ă©tudiants et les passants, les jugements des forces de lâordre, des extraits dâarticles de presse et des tĂ©moignages des parents dâĂ©tudiants. 215De cette succession de points de vue, dâidĂ©es, de rĂ©cits, le lecteur parvient Ă comprendre intuitivement toute la richesse et toute la complexitĂ© de cet Ă©vĂ©nement et de son issue douloureuse. Lâambiance soixante-huitarde est magistralement reconstituĂ©e Ă travers la banalitĂ© quotidienne de nombre de tĂ©moignages qui laissent imaginer lâatmosphĂšre, les dĂ©bats et lâeffervescence de cette gĂ©nĂ©ration, gĂ©nĂ©ration tout de mĂȘme confrontĂ©e Ă lâindiffĂ©rence ou lâhostilitĂ© de nombre de Mexicains. Le dĂ©roulement des Ă©vĂ©nements transparaĂźt Ă©galement au fil des rĂ©cits, permettant lĂ encore de penser sans mĂ©diation les dynamiques de mobilisation qui ont menĂ© Ă la constitution dâun mouvement massif rĂ©agissant Ă la rĂ©pression croissante de lâĂtat. Ăvidemment, une bonne partie de lâouvrage est consacrĂ©e Ă la tragĂ©die du 2 octobre, Ă©pisode dâautant plus traumatisant quâil fera lâobjet dâune constante dĂ©nĂ©gation de la part des autoritĂ©s mexicaines. Face au silence de lâĂtat, la parole est ici donnĂ©e aux diffĂ©rents tĂ©moins oculaires Ă©tudiants, journalistes, employĂ©s de la morgue, militaires reconstituant une rĂ©pression qui a sans doute fait trois cents victimes. 216Si la diversitĂ© et le nombre impressionnant de tĂ©moignages et leur succession rapide pouvaient Ă©ventuellement reprĂ©senter un obstacle Ă la comprĂ©hension de ces faits marquants, lâauteure a veillĂ© Ă les encadrer dâune efficace introduction explicative et engagĂ©e, ainsi que dâune chronologie dĂ©taillĂ©e. Ce beau livre est Ă©galement agrĂ©mentĂ© de nombreuses photographies qui permettent de concevoir ce mouvement par lâimage. 217En somme, il sâagit dâun recueil engagĂ© dâhistoire orale devenu une rĂ©fĂ©rence majeure, concernant un Ă©vĂ©nement hautement symbolique pour toute une gĂ©nĂ©ration de Mexicains. 218FrĂ©dĂ©ric JohanssonAfrique colonialeGoerg Odile, FantĂŽmas sous les tropiques aller au cinĂ©ma en Afrique coloniale, Paris, Ăd. VendĂ©miaire, 2015, 288 p., 22 âŹ219Aux frontiĂšres de lâhistoire politique, de lâĂ©tude culturelle et de la sociologie, Odile Goerg sâintĂ©resse au cinĂ©ma africain au temps des colonies. Son livre nâest pas une histoire des films africains bien rares dâailleurs avant les indĂ©pendances, mais une analyse dâune pratique sociale ce quâaller au cinĂ©ma voulait dire dans un contexte colonial. Cette enquĂȘte se heurte Ă la raretĂ© des sources les archives officielles ne conservant guĂšre de trace de ce loisir frivole, Odile Goerg a utilisĂ© des sources plus rarement sollicitĂ©es par lâhistorien romans ou autobiographies tel le livre CinĂ©ma de Tierno MonĂ©membo [14] et menĂ© des entretiens auprĂšs des lointains survivants de lâĂ©poque. 220OĂč se dĂ©roulent les premiĂšres sĂ©ances de cinĂ©ma ? Au dĂ©part, sur la place du village ou dans une arriĂšre-cour avant que, pendant les annĂ©es 1920, se construisent des salles dĂ©diĂ©es dont les appellations reprennent celles de la mĂ©tropole Palace, Rex, Rialto, Vox, Paris, etc. Le cinĂ©ma est dĂšs lâorigine un Ă©vĂ©nement urbain qui crĂ©e, au cĆur de la citĂ©, un rassemblement festif et un nouvel espace de sociabilitĂ©. 221Qui va au cinĂ©ma ? Les EuropĂ©ens au premier chef, qui ont connu leurs premiĂšres expĂ©riences cinĂ©matographiques en mĂ©tropole et qui cherchent Ă rompre la monotonie de leur sĂ©jour, mais aussi les Africains sans lesquels les exploitants nâatteindraient pas lâĂ©quilibre commercial. Les premiers spectateurs sont des Ă©voluĂ©s » des Africains instruits qui vivent au contact des Blancs et copient leurs pratiques sociales. Ă la diffĂ©rence de lâAfrique du Sud ou du Congo belge, Africains et colons font salle commune. Les relations se reconfigurent, celles entre les sexes, Ă la faveur de lâobscuritĂ© les salles de cinĂ©ma deviennent le lieu de rencontres plus ou moins clandestines, car les adultes ne sont jamais loin. Ce mĂ©lange a toutefois ses limites, les prix, qui varient entre lâorchestre et le balcon, entraĂźnant une sĂ©grĂ©gation spatiale de fait. 222Si on ne va pas au cinĂ©ma uniquement pour voir un ou plusieurs films, le contenu importe malgrĂ© tout. Les autoritĂ©s coloniales vont dâailleurs bientĂŽt sâinquiĂ©ter des programmes dont certains mettent Ă mal le prestige du Blanc. Une censure est mise en place en 1934, qui double la censure mĂ©tropolitaine. Les spectateurs africains se rĂ©approprient cependant des contenus qui peuvent sembler anodins les frasques de Charlot font rire au dĂ©triment des gardiens de lâordre, le racisme dâun Tarzan provoque des manifestations de dĂ©sapprobation, La Bataille du rail encourage le nationalisme et la rĂ©sistance. 223 FenĂȘtre ouverte sur lâailleurs » qui donne aux publics africains lâoccasion de se frotter au monde, lieu de rassemblement, oĂč lâobscuritĂ© et lâanonymat encouragent des manifestations impossibles en dâautres lieux, la salle de cinĂ©ma a constituĂ© un espace potentiel de contestation du pouvoir colonial. Odile Goerg a cependant raison de ne pas dramatiser le tableau. Lâambiance bruyante des salles est plus festive que rĂ©volutionnaire. En mĂ©tropole comme aux colonies, le cinĂ©ma est moins un lieu dâexpression politique quâun divertissement paisible. 224Yves GouninJennings Ăric, La France libre fut africaine, Paris, MinistĂšre de la DĂ©fense/Perrin, 2014, 350 p., 23 âŹ225La France libre est automatiquement associĂ©e Ă Londres dâoĂč le gĂ©nĂ©ral de Gaulle lança son appel le 18 juin 1940 et oĂč il Ă©tablit ses quartiers. Pour autant, et le bel ouvrage dâĂric Jennings le dĂ©montre avec force, la France libre, Ă bien des Ă©gards, fut africaine. 226SpĂ©cialiste de lâEmpire colonial demeurĂ© sous domination vichyste, Ăric Jennings contribue avec ce livre Ă renouveler lâhistoire du rĂŽle jouĂ© par les territoires français dâOutre-mer dans la victoire des AlliĂ©s contre les puissances de lâAxe lors la Seconde Guerre mondiale. La richesse de son travail rĂ©sulte de la consultation dâun important corpus archivistique, en France Archives nationales dâOutre-mer Ă Aix-en-Provence, Archives diplomatiques de Nantes, Service historique de la dĂ©fense, Fondation Charles-de-Gaulle et du MĂ©morial Leclerc, mais aussi en Afrique oĂč il a consultĂ© les archives nationales de la rĂ©publique du Cameroun Ă YaoundĂ© et celles de la rĂ©publique du Congo Ă Brazzaville ou encore celles du SĂ©nĂ©gal Ă Dakar. Ces sĂ©jours archivistiques africains lui ont Ă©galement permis dâacquĂ©rir une rĂ©elle connaissance de ces territoires et dâĂ©valuer les traces de la mĂ©moire locale. 227Le concours de lâAEF Ă lâeffort de guerre gaulliste fut dĂ©terminant pendant les premiĂšres annĂ©es du conflit. Entre 1940 et 1943, en effet, la majoritĂ© des combattants de la France libre Ă©taient issus du Tchad, du Cameroun ou de lâOubangui-Chari. Au total, vingt-sept mille hommes, dont dix-sept mille Africains, furent recrutĂ©s par la France libre en AEF et au Cameroun, soit prĂšs de 40 % des trente-neuf mille Français et trente mille coloniaux que comptait la France libre Ă lâĂ©tĂ© 1943. GrĂące Ă leurs ressources naturelles, lâAfrique Ă©quatoriale française et le Cameroun contribuĂšrent Ă©conomiquement Ă lâeffort de guerre gaulliste. Ils jouĂšrent aussi un rĂŽle stratĂ©gique en servant de base Ă lâattaque de la Libye par les troupes du gĂ©nĂ©ral Leclerc en 1941. Surtout, lâimportance de ces espaces fut politique. Ils confĂ©rĂšrent au gĂ©nĂ©ral de Gaulle un territoire sur lequel la France libre put exercer sa souverainetĂ©, faisant de la France libre non plus un mouvement mais un gouvernement » p. 11. 228ĂloignĂ©s de la mĂ©tropole, ces territoires furent Ăąprement disputĂ©s. Lâauteur souligne la force des conflits persistant avec les vichystes et des inimitiĂ©s ou divisions au sein de la sociĂ©tĂ© coloniale ; autant de tensions qui entravĂšrent les efforts de la France libre pour asseoir sa lĂ©gitimitĂ©. 229Ăric Jennings sâattache ensuite Ă suivre la trace des soldats africains dans les combats de la France libre, de leur recrutement influencĂ© par la thĂ©orie des races guerriĂšres aux derniĂšres passes dâarmes dans les poches de lâAtlantique en 1945, en passant par le mythique serment de Koufra. Sâil rappelle la difficultĂ© de saisir ces individualitĂ©s dans des archives qui privilĂ©gient le groupe ou les combattants europĂ©ens, il rapporte les longues marches dans le dĂ©sert, les lacunes du ravitaillement ou encore les manifestations ordinaires de racisme de la part des officiers. Il a Ă©galement su retrouver dans les archives des dĂ©tails qui donnent chair Ă cette histoire peu connue, tel ce repas oĂč exceptionnellement, aprĂšs la prise de Koufra, troupes blanches et noires partagĂšrent le mĂȘme menu les macaronis au parmesan dĂ©robĂ©s aux Italiens. Ăric Jennings ne tait pas les sujets plus Ă©pineux tels les rixes entre soldats ou encore les exactions commises contre les populations civiles Ă Fort Archambault au Tchad en mars 1941. Le poids de la contribution des soldats dâAEF et du Cameroun Ă la libĂ©ration du territoire national demeura nĂ©anmoins mesurĂ© car, comme le rappelle lâauteur, deux blanchiments, lâun intervenant dĂšs 1943 avec la mobilisation de lâAfrique du Nord et lâautre, plus connu, qui, Ă lâautomne 1944, permit dâintĂ©grer les Forces françaises de lâintĂ©rieur FFI. 230Ăric Jennings analyse enfin lâimpact de la guerre sur les populations dâAEF et du Cameroun. CoupĂ©s de la mĂ©tropole, ces territoires basculĂšrent dans la sphĂšre dâinfluence Ă©conomique britannique et progressivement de celle des Ătats-Unis. Pour contenir cette double influence, la France libre sâefforça dâexploiter au mieux les ressources naturelles de son Empire. Alors que la Malaisie, Singapour et lâIndochine, principaux producteurs de caoutchouc, Ă©taient occupĂ©s par le Japon, le latex dâAEF servit la cause du gĂ©nĂ©ral de Gaulle en Ă©toffant la contribution de la France libre Ă lâeffort de guerre alliĂ©. Lâextraction dâor permit quant Ă elle dâaccroĂźtre lâautonomie financiĂšre de la France libre. Cette exploitation eut toutefois un coĂ»t que les populations locales payĂšrent au prix fort. Les exigences de productivitĂ© renforcĂšrent des pratiques prĂ©existantes de travail forcĂ©, de corvĂ©es, dont tĂ©moignent les clichĂ©s de Germaine Krull, photographe officielle de la France libre, reproduits dans le cahier central. Elles autorisĂšrent le renforcement des contraintes policiĂšres fichage des individus, emprisonnements abusifs, etc. 231Si lâimage dâune RĂ©sistance essentiellement mĂ©tropolitaine et londonienne sâest imposĂ©e aprĂšs-guerre, lâouvrage riche et nuancĂ© dâĂric Jennings a le grand mĂ©rite de rappeler les racines africaines de la France libre la contribution de lâAEF et du Cameroun fut certes limitĂ©e dans son ampleur et dans le temps, mais elle fut dĂ©cisive pour asseoir la lĂ©gitimitĂ© du mouvement. 232Julie Le GacMillman Brock, British Somaliland An Administrative History, 1920-1960, Londres, Routledge, 2014, 303 p., 95 ÂŁ233Cet ouvrage Ă©claire trois processus faiblement connus la structuration politique et territoriale de la Corne dâAfrique, par lâĂ©tude de la trajectoire de ce qui devient en 1991 lâĂrythrĂ©e ; les modalitĂ©s concrĂštes du contrĂŽle colonial sur un territoire Ă travers le suivi des dispositifs administratifs britanniques ; enfin, la lente mutation de lâexercice colonial sur un territoire au cours dâune sĂ©quence de temps souvent, et malheureusement, divisĂ©e par la Seconde Guerre mondiale. Le choix de lâauteur se porte sur la production dâun rĂ©cit Ă partir de sources britanniques faiblement exploitĂ©es, celles des rapports dâadministrateurs et des diffĂ©rents fonctionnaires dâempire. Ce nâest donc pas une Ă©tude des rĂ©actions locales Ă la prĂ©sence impĂ©riale. Cette approche permet dâenrichir et de prĂ©ciser notre comprĂ©hension de lâEmpire britannique en terre arabe. Lâauteur part dâun paradoxe qui structure largement la politique britannique au cours du demi-siĂšcle dâoccupation comment se construit un projet de gestion territoriale et politique dâun espace dont on envisage systĂ©matiquement la cession ? Ă travers lâĂ©tude du systĂšme administratif et des politiques de dĂ©veloppement, lâauteur montre comment, en cinq sĂ©quences, cette partie de la Corne dâAfrique se structure. 234Les ruptures chronologiques sont dĂ»ment justifiĂ©es. Entre le milieu du 19e siĂšcle et 1920, les autoritĂ©s britanniques Ă©crasent la rĂ©volte conduite par le cheikh local et sâemparent dâun lieu problĂ©matique. Cependant, ils ne mettent pas en valeur leur conquĂȘte dont ils ne savent que faire. Ils pensent lâintĂ©grer Ă un marchandage avec les Italiens pour obtenir des gages de sĂ©curitĂ© dans le golfe dâAden. Cependant, leur simple prĂ©sence temporaire entraĂźne la structuration dâune administration fondĂ©e sur quelques fonctionnaires coloniaux qui sâappuient sur les chefs locaux. LâĂ©tude montre bien comment la justice locale est ainsi rĂ©formĂ©e durablement puisquâelle survit Ă lâexpĂ©rience coloniale. La deuxiĂšme sĂ©quence sâouvre avec lâinvasion italienne qui remet en cause la prĂ©sence britannique. Elle prĂ©cipite des Ă©changes entre les populations du Somaliland, de Somalie et du Kenya, suscitant des rĂ©actions contrastĂ©es volontĂ© dâunifier ces territoires, rĂ©actions hostiles des populations du Somaliland Ă la prĂ©sence kenyane et dĂ©couverte du besoin de dĂ©veloppement » pour pouvoir entrer en compĂ©tition avec ces autres populations. La troisiĂšme sĂ©quence sâouvre en 1941 avec la reconquĂȘte militaire du Somaliland. Ici, lâauteur montre comment lâarmĂ©e assume une gestion civile avec un personnel militaire. La croissance de lâadministration et la somalisation du personnel provoquent des mutations Ă©conomiques et sociales qui se traduisent par lâaugmentation des dĂ©penses et des importations pour rĂ©pondre aux nouveaux besoins. Finalement, au cours des annĂ©es 1950, un processus constitutionnel forge un nouvel Ătat Ă la croisĂ©e des mouvements indĂ©pendantistes et des pressions nassĂ©riennes. 235Ce livre sâinscrit dans la relecture des dispositifs impĂ©riaux britanniques et permet de saisir les mĂ©canismes dâinstitutionnalisation consĂ©cutifs Ă la prĂ©sence coloniale. 236Matthieu ReyPiret BĂ©rengĂšre, Les Cent Mille Briques la prison et les dĂ©tenus de Stanleyville, Lille, Centre dâhistoire judiciaire, 2014, 205 p., 30 âŹ237Issu dâun mĂ©moire de maĂźtrise, ce livre retrace lâhistoire de la prison centrale de Stanleyville, aujourdâhui Kisangani, au Congo belge. Cette monographie constitue la premiĂšre Ă©tude sur lâemprisonnement dans cette colonie connue pour ses rapports de domination exacerbĂ©s. Elle sâinscrit dans un courant de recherche consacrĂ© Ă lâenfermement carcĂ©ral colonial, initiĂ© notamment par Florence Bernault [15]. 238Cette Ă©tude de cas a le mĂ©rite de rappeler combien lâenfermement occupe une place centrale dans le projet colonial belge. Dâune part, lâinscription de la prison dans le dispositif du travail forcĂ© souligne lâintĂ©rĂȘt Ă©conomique que la colonie tire de sa population carcĂ©rale. Dâautre part, le contrĂŽle des populations par la pratique de lâincarcĂ©ration participe de lâentreprise de sujĂ©tion coloniale. 239Lâouvrage se prĂ©sente comme une plongĂ©e dans la prison de Stanleyville en quatre temps. Le cadre lĂ©gislatif occupe la premiĂšre partie, de la crĂ©ation de la prison en 1891 au grand dĂ©cret de rĂ©organisation de 1931, en passant par une premiĂšre rĂ©forme en 1906. Au centre de cette Ă©volution se trouve le passage dâune organisation carcĂ©rale Ă caractĂšre militaire Ă un systĂšme pĂ©nitentiaire civil. Cependant, le sous-encadrement administratif de la colonie explique le maintien de soldats de la Force publique ainsi quâune utilisation de prisonniers jugĂ©s dignes de confiance, les capitas », pour surveiller les dĂ©tenus. Les deux parties suivantes sont consacrĂ©es Ă lâarchitecture de la prison et Ă la population carcĂ©rale. Lâauteur insiste sur le souci permanent de sĂ©paration des indigĂšnes et des colons, malgrĂ© les difficultĂ©s liĂ©es au surpeuplement carcĂ©ral chronique. La derniĂšre partie, centrĂ©e sur la rĂ©alitĂ© quotidienne des dĂ©tenus, donne Ă voir lâimportance du travail carcĂ©ral. Celui-ci est nĂ©cessaire autant Ă la gestion de la prison quâĂ lâĂ©conomie de la ville qui profite des travaux et de lâentretien effectuĂ©s par les prisonniers. 240Ă partir de sources administratives coloniales, issues des Affaires africaines de Bruxelles, BĂ©rengĂšre Piret met en lumiĂšre lâobsession de sĂ©grĂ©gation qui anime le projet pĂ©nitentiaire au Congo belge, mais aussi le pragmatisme qui caractĂ©rise la gestion de la prison de Stanleyville. Pour autant, certains aspects spĂ©cifiques Ă lâemprisonnement colonial ne sont quâesquissĂ©s. Le rapport Ă la mĂ©tropole mĂ©riterait, par exemple, dâĂȘtre davantage explorĂ©, quâil sâagisse de la circulation des modĂšles ou de celle des acteurs pĂ©nitentiaires. Lâouvrage se donne ainsi Ă lire comme une premiĂšre pierre posĂ©e pour la construction dâune histoire de lâenfermement carcĂ©ral au Congo, invitant Ă prĂ©ciser toujours plus les formes que la violence coloniale a prises. 241Elsa GĂ©nardLachenal Guillaume, Le MĂ©dicament qui devait sauver lâAfrique un scandale pharmaceutique aux colonies, Paris, La DĂ©couverte, Les empĂȘcheurs de penser en rond », 2014, 283 p., 18 âŹ242La pentamidine a Ă©tĂ© massivement utilisĂ©e dans les annĂ©es 1950 en Afrique pour combattre la maladie du sommeil. Ses inventeurs estimaient quâelle pouvait ĂȘtre stockĂ©e plusieurs mois par lâorganisme et dĂ©truire les trypanosomes en cas dâinfection. Son invention tĂ©moigne des gĂ©ographies transnationales de lâindustrie pharmaceutique » p. 49 dĂ©couverte au Royaume-Uni, testĂ©e en Sierra Leone puis au Congo belge pendant la Seconde Guerre mondiale, cette wonder drug coloniale a Ă©tĂ© commercialisĂ©e par le français RhĂŽne-Poulenc Ă partir de 1946 sous le nom de Lomidine. 243Ses modalitĂ©s dâutilisation tĂ©moignent de la nouvelle donne de la mĂ©decine coloniale » caractĂ©risĂ©es aprĂšs 1945 par sa massification. Pour Ă©radiquer la maladie du sommeil est mis en Ćuvre un programme vertical de santĂ© publique » p. 82 des campagnes systĂ©matiques de lomidinisation » chimio-prophylactique consistant Ă injecter prĂ©ventivement la Lomidine Ă toute une population. 244Cette politique sâest dans un premier temps avĂ©rĂ©e efficace. La maladie du sommeil a quasiment disparu dâAfrique Ă©quatoriale. Cependant, la lomidinisation avait des effets secondaires dĂ©plaisants et parfois dramatiques. Lâinjection intramusculaire dans la fesse Ă©tait trĂšs douloureuse, provoquant des abcĂšs voire des dĂ©cĂšs par gangrĂšne gazeuse. En novembre 1954, Ă Yokadouma, dans lâEst du Cameroun, une campagne de lomidinisation tue trente-deux patients, ce qui suscite une vive Ă©motion dans un territoire dĂ©jĂ agitĂ© par la fiĂšvre indĂ©pendantiste. Deux ans plus tĂŽt, Ă Nkoltang, au Gabon, quatorze personnes avaient trouvĂ© la mort. Dans les deux cas, une souillure de la solution mĂ©dicamenteuse, toujours eu Ă©gard aux conditions de sa prĂ©paration en brousse, est incriminĂ©e. Des analyses pharmacologiques plus fines dĂ©montrent bientĂŽt lâabsence de rĂ©tention de la pentamidine dans lâorganisme. Son injection avait permis de lutter contre la maladie du sommeil par son effet thĂ©rapeutique sur les sujets infectĂ©s et non par son effet prophylactique sur les sujets sains. Dit autrement, la lomidinisation de sujets sains Ă©tait Ă la fois dangereuse et inutile. 245Le travail de Guillaume Lachenal ne se rĂ©duit pas Ă Ă©crire une page anecdotique et scandaleuse de lâhistoire de la mĂ©decine coloniale. Son ambition est plus vaste. Il traque dans les politiques coloniales mises en place en Afrique aprĂšs la Seconde Guerre mondiale la part de dĂ©raison que contenaient leurs propres principes de rationalitĂ©, dâautoritĂ© et de scientificitĂ© » p. 9. Comme Olivier Le Cour Grandmaison lâa fait avec le droit colonial [16], Guillaume Lachenal rĂ©vĂšle la logique Ă lâĆuvre dans la mĂ©decine coloniale Ă rebours des principes Ă©thiques aujourdâhui appliquĂ©s, lâefficacitĂ© dâun mĂ©dicament dĂ©pendait de son utilitĂ© collective. DĂ©conseillĂ©e aux Blancs, car ses effets secondaires Ă©taient depuis lâorigine connus, la lomidine Ă©tait un mĂ©dicament racialisĂ© » p. 122, dont lâinjection forcĂ©e Ă la population noire aurait dĂ» permettre lâĂ©radication de la maladie du sommeil, fĂ»t-ce au prix de quelques victimes collatĂ©rales. 246Yves GouninBlum Françoise, RĂ©volutions africaines Congo, SĂ©nĂ©gal, Madagascar, annĂ©es 1960-1970, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2014, 202 p., 18 âŹ247Françoise Blum, chercheuse au Centre dâhistoire sociale du 20e siĂšcle, a coordonnĂ©, en collaboration avec le Centre dâĂ©tudes des mondes africains, un sĂ©minaire sur les Circulations des cultures dâopposition mouvements politiques et sociaux dans lâAfrique des annĂ©es 1960 ». Dans la continuitĂ©, un colloque consacrĂ© aux Mouvements Ă©tudiants en Afrique francophone de 1960 Ă nos jours » sâest tenu Ă Paris, en juillet 2014, alors que paraissait ce livre sur les contestations ayant marquĂ© la premiĂšre dĂ©cennie des indĂ©pendances dans dâanciennes colonies de la France. Françoise Blum a profitĂ© du sĂ©minaire et de quelques Ă©tudes prĂ©cises, mais lâouvrage, qui sâinscrit dans la lignĂ©e de ses recherches sur le militantisme, en France et en Afrique, est novateur par ses sources et par son approche. Il sâappuie, du cĂŽtĂ© français, sur des archives officielles, des ambassades et de Jacques Foccart, ainsi que sur des tĂ©moignages de diplomates et de coopĂ©rants. Les archives nationales malgaches et une quinzaine dâentretiens donnent lâessentiel des points de vue africains. 248La relative synchronie avec dâautres mouvements, notamment le Mai français, et lâadoption de slogans nĂ©s ailleurs ne signifient ni manque dâimagination, ni manque de capacitĂ© autonome dâagir. LâAfrique qui participe, par de multiples rĂ©seaux et connexions, Ă la globalisation » p. 173 sâapproprie ce quâelle reçoit. Ses rĂ©sistances et ses luttes font sens pour le reste du monde, ne serait-ce que par le militantisme dâanciens Ă©tudiants formĂ©s en France et sĂ©duits par les expĂ©riences socialistes dans leur diversitĂ©. La premiĂšre partie de lâouvrage propose une analyse comparĂ©e des rĂ©voltes et des rĂ©volutions. La circulation de savoirs et de pratiques, par des livres, des mĂ©dias ou des passeurs de diverses nationalitĂ©s, affiliĂ©s, pour certains dâentre eux, Ă des associations ou des syndicats, en constitue la seconde. 249Les contestations Ă©clatent dans de nouvelles nations, dont la formation limite la portĂ©e du panafricanisme, Ă©galement concurrencĂ© par lâhĂ©ritage de la colonisation. Le poids de la coopĂ©ration française et la volontĂ© des dirigeants qui ont nĂ©gociĂ© les indĂ©pendances de brider la vie politique ont provoquĂ© un vif mĂ©contentement, en particulier chez les jeunes. De fait, si ces rĂ©volutions ne se rĂ©sument pas Ă un conflit de gĂ©nĂ©rations, les cadets ont jouĂ© un rĂŽle primordial dans leur dynamique, se constituant ainsi en classe dâĂąge politique ». Cette dĂ©ception explique lâadmiration pour la GuinĂ©e, longtemps apparue comme LE symbole de lâindĂ©pendance, avant que des rĂ©voltes causĂ©es par les dĂ©rives du rĂ©gime de SĂ©kou TourĂ© ne la secouent elle aussi. Quoique ne figurant pas dans le titre, la GuinĂ©e est omniprĂ©sente dans lâouvrage qui se clĂŽt sur lâexpĂ©rience, Ă lâUniversitĂ© ouvriĂšre de GuinĂ©e, dâune formation syndicale communiste pour des Africains dont les origines dessinent une cartographie des Afriques socialistes ou en lutte contre la prĂ©sence coloniale ». 250Faranirina V. RajaonahMoyen-OrientCorm Georges, PensĂ©e et politique dans le monde arabe contextes historiques et problĂ©matiques, xixe-xxie siĂšcles, Paris, La DĂ©couverte, 2015, 389 p., 15,99 âŹ251Ce nouvel ouvrage de lâĂ©conomiste et historien Georges Corm impressionne par son Ă©rudition. Lâauteur y expose les nombreuses facettes de la pensĂ©e politique arabe depuis le 19e siĂšcle et la Nahda, mouvement de renaissance arabe, politique, culturel et religieux, caractĂ©risĂ© par un dĂ©sir de modernitĂ©. Georges Corm va Ă lâencontre des clichĂ©s qui associent culture arabe et civilisation islamique, clichĂ©s prĂ©gnants en Occident, dâErnest Renan Ă nos jours. Il veut montrer lâinanitĂ© de lâapproche de la pensĂ©e arabe Ă travers le seul prisme religieux. 252Pour cela, il nâhĂ©site pas Ă remonter loin dans lâhistoire, rappelant que La Mecque paĂŻenne au 7e siĂšcle Ă©tait une grande ville de commerce et dâĂ©changes culturels, abritant chrĂ©tiens, juifs et polythĂ©istes, influencĂ©e par la culture syriaco-aramĂ©enne et par la culture grĂ©co-romaine, et que cette diversitĂ© dâinfluences a Ă©tĂ© le creuset de la culture arabe. 253En historien, il montre les consĂ©quences dâĂ©vĂ©nements historiques comme la chute de lâEmpire ottoman en 1923, la crĂ©ation de lâĂtat dâIsraĂ«l en 1948 ou la dĂ©faite de la guerre des Six Jours en 1967 sur la pensĂ©e arabe. 254Il redonne vie, Ă grand renfort dâexemples concrets et de portraits vivants, Ă nombre dâintellectuels arabes, comme Al-Tahtawi 1801-1873, mandatĂ© par le gouverneur dâĂgypte Mohammed Ali pour aller en mission Ă Paris de 1826 Ă 1830. Al-Tahtawi a ainsi introduit la culture française en Ăgypte et initiĂ© un grand mouvement de traduction vers lâarabe dâĆuvres de la littĂ©rature politique française. 255Georges Corm montre que la pensĂ©e arabe nâest pas monolithique mais polymorphe, et quâelle a pu donner lieu Ă des dĂ©bats et controverses, comme par exemple entre le grand rĂ©formateur religieux Ă©gyptien Mohammed Abdou 1849-1905 et lâessayiste libanais positiviste convaincu des bienfaits de la laĂŻcitĂ© Farah Antoun 1874-1922. 256Plus rĂ©cemment, lâintellectuel Ă©gyptien Taha Hussein 1889-1973 a critiquĂ© la façon dâenseigner la religion dans la cĂ©lĂšbre UniversitĂ© Al-Azhar du Caire, et a affirmĂ© que par son histoire, lâĂgypte appartenait au monde europĂ©en mĂ©diterranĂ©en, soulignant les profondes influences rĂ©ciproques entre lâĂgypte pharaonique, dâune part, et la GrĂšce et Rome, dâautre part. Georges Corm nâoublie pas les femmes et en cite plusieurs comme May ZiadĂ© 1886-1941, premiĂšre femme de lettres arabe dâorigine palestino-libanaise, qui a tenu un salon littĂ©raire, ou Nawal El-Saadawi, aux multiples talents dâĂ©criture, emprisonnĂ©e en 1981 car opposante au rĂ©gime dâAnouar el-Sadate. 257Sur le plan religieux, il oppose au clichĂ© sur lâislamisme de nombreux autres courants, comme la wassatiya » ou juste milieu », pensĂ©e religieuse ancrĂ©e dans le Coran et contrant la pensĂ©e islamiste radicale et fanatique. 258Ce vaste panorama est passionnant et dĂ©montre de maniĂšre stimulante la richesse exceptionnelle de la culture arabe. 259ChloĂ© MaurelLuizard Pierre-Jean, Histoire politique du clergĂ© chiite, xviiie-xxie siĂšcle, Paris, Fayard, 2014, 325 p., 20 âŹ260Dans un style des plus clairs, avec un appareil de notes dĂ©pouillĂ© pour ne pas alourdir la lecture palpitante de cet ouvrage, Pierre-Jean Luizard, dont les travaux sur lâIrak des premiĂšres dĂ©cennies du 20e siĂšcle demeurent pionniers pour la comprĂ©hension du chiisme politique, et donc des mobilisations au nom de lâislam, propose ici un voyage captivant Ă travers deux siĂšcles dâhistoire et de nombreux territoires, Ă la dĂ©couverte de lâunivers du clergĂ© militant. Sa trĂšs solide connaissance des Ă©coles, des combats doctrinaux et des biographies des 18e-21e siĂšcles lui permet dâexpliquer lâĂ©mergence dâun acteur politique inĂ©dit le clergĂ© chiite. Naturellement, le but de ce livre nâest pas de prĂ©senter une thĂšse ni de faire dĂ©couvrir au public connaisseur tel ou tel dĂ©tail sur le chiisme. Dâautres ouvrages indiquĂ©s en bibliographie ou en introduction de chapitre supplĂ©ent cette demande. Il sâagit de dresser un tableau synthĂ©tique de la trajectoire de cet acteur et des consĂ©quences politiques de son engagement. 261Les quatorze chapitres qui structurent lâouvrage adoptent trois points de vue. Globalement, ils sâagencent selon un plan chronologique attendu, avec un prĂ©lude sur les modalitĂ©s de clĂ©ricalisation du chiisme depuis son apparition jusquâĂ la victoire de lâusĂ»lisme tendance du chiisme favorable Ă lâaction des mujtahid ou savants, clercs dans les affaires de la citĂ© suivi de plusieurs chapitres sur les diffĂ©rentes Ă©tapes de lâimplication du clergĂ© dans la politique moyen-orientale, Iran compris. Ensuite, il laisse place Ă un suivi gĂ©ographique. Les premiers chapitres se consacrent largement Ă lâanalyse de lâIrak et de lâIran dont les Ă©volutions des clergĂ©s sont analysĂ©es en relation avec les moments rĂ©volutionnaires. Pierre-Jean Luizard montre bien le retournement de la situation iranienne avec la rĂ©volution de 1979, aboutissement de la doctrine usĂ»liste, et la crise du rĂ©gime face aux mujtahids critiques du velayet al-faqih gouvernement du docteur de la loi Ă la mort de Khomeiny. Ensuite, les situations libanaises et golfiques font lâobjet dâun Ă©clairage plus prĂ©cis. Ces chapitres tordent la chronologie reprenant les premiers pas du clergĂ© libanais dans les annĂ©es 1920 par exemple. Enfin, un troisiĂšme dĂ©coupage suit les Ă©vĂ©nements marquants de lâimplication clĂ©ricale, revenant sur la grĂšve des tabacs ou la rĂ©volution constitutionnaliste. Le choix de lâauteur dâisoler ces sĂ©quences est particuliĂšrement judicieux, dans la mesure oĂč peu ou aucune prĂ©sentation synthĂ©tique de ces moments majeurs nâexistait jusque-lĂ . DĂšs lors, lâouvrage donne toutes les clĂ©s au lecteur pour arpenter les diffĂ©rents aspects historiques de lâimplication politique du clergĂ© chiite. 262Faut-il faire remarquer une lĂ©gĂšre distorsion dans les prĂ©sentations entre les cas irako-iraniens qui reprĂ©sentent plus des trois quarts de lâouvrage, au dĂ©triment des cas libanais et golfique ? Lâauteur pourra arguer respecter le poids dĂ©mographique des communautĂ©s et non nĂ©cessairement le traitement chronologique. Ce livre constitue dans tous les cas une excellente initiation Ă une forme originale de mobilisation musulmane encore faiblement connue. 263Matthieu ReyFeroz Ahmad, The Young Turks and the Ottoman Nationalities Armenians, Greeks, Albanians, Jews and Arabs, 1908-1918, Ann Arbor, The University of Utah Press, 2014, 191 p., 25 $264Le dernier moment ottoman qui dĂ©bute par la rĂ©volution Jeune turque en 1908 et se clĂŽt Ă la fin de la PremiĂšre Guerre mondiale comprend de nombreux aspects encore mĂ©connus. Lâouvrage de Feroz Ahmad comble ici un manque important comprendre comment la restauration de la Constitution et du parlementarisme interagissent avec les acteurs se revendiquant des minoritĂ©s nationales. Son angle dâapproche est double et propose un traitement du monde des Ă©lites pour en restituer les clivages et une analyse des jeux qui se dĂ©roulent entre les reprĂ©sentants des nationalitĂ©s impĂ©riales. Lâauteur corrige lâimage dâun Empire finissant oppresseur des nationalitĂ©s pour montrer les hĂ©sitations et les stratĂ©gies antagonistes coexistantes. 265Lâauteur dĂ©termine cinq groupes nationaux afin de montrer que le nationalisme, qui a imprĂ©gnĂ© les groupes minoritaires de lâEmpire depuis la RĂ©volution française, nâest pas la seule grammaire de lâaction des dĂ©putĂ©s en 1908. Chaque groupe accueille la Constitution de 1908 et les Ă©lections consĂ©cutives de maniĂšre diffĂ©renciĂ©e. Certains, comme les reprĂ©sentants armĂ©niens, espĂšrent obtenir lâĂ©galitĂ© des conditions et la fin de toute forme dâoppression dans le rĂ©tablissement de la Constitution. Dâautres, comme les Grecs, voient des oppositions fortes entre le patriarche et les autoritĂ©s dâAthĂšnes. Si ces derniĂšres nâappartiennent pas Ă lâEmpire, elles continuent dâexercer une influence importante sur les groupes rĂ©sidant en Asie mineure. Lâauteur revient en dĂ©tail sur la maniĂšre dont chaque inflexion de la trajectoire parlementaire et politique du rĂ©gime prĂ©cipite des repositionnements, des gains ou des pertes pour les reprĂ©sentants minoritaires. Ce nâest ainsi quâen 1913, en rĂ©action aux dĂ©veloppements libĂ©raux et aux soutiens minoritaires que les autoritĂ©s du ComitĂ© dâUnion et ProgrĂšs se dĂ©font de toute politique dĂ©centralisatrice. De mĂȘme, lâauteur restitue les mouvements armĂ©s pendant la PremiĂšre Guerre mondiale pour expliquer la marche vers le gĂ©nocide armĂ©nien rĂ©sultant, entre autres, des Ă©chos du conflit. Enfin, lâauteur revient, de maniĂšre plus que convaincante, sur les effets du parlementarisme Ă lâĂ©gard des Arabes. Ils trouvent un moyen de renĂ©gocier les intĂ©rĂȘts de leurs provinces et de prĂ©venir ce quâils perçoivent comme des menaces impĂ©rialistes. Ce nâest que tardivement et de façon non unanime que certains segments des Ă©lites impĂ©riales arabes renoncent Ă leur loyautĂ© pour Istanbul. LâĂ©pilogue rĂ©vĂšle comment une relecture de cette pĂ©riode apparaĂźt au lendemain de la guerre. 266Cette Ă©tude particuliĂšrement intĂ©ressante prĂ©sente deux limites. Le lecteur devra connaĂźtre le dĂ©roulement du gĂ©nocide pour en saisir les principales Ă©tapes. Lâautre problĂšme concerne la sĂ©lection et la construction des groupes minoritaires. Le recours Ă la nationalitĂ©, au sens de la confession, explique lâĂ©tude des juifs ou des ArmĂ©niens. Cependant, lâauteur ne le mentionne pas comme tel. De mĂȘme, la variable ethnique aurait pu ĂȘtre avancĂ©e. NĂ©anmoins, comme les choix ne sont pas explicitĂ©s, le lecteur comprend mal pourquoi les juifs sont Ă©tudiĂ©s, mais pas les chiites ou encore les ArmĂ©niens et pas les Kurdes. Il nâen demeure pas moins que cet ouvrage constitue une Ă©tude des plus utiles pour la comprĂ©hension du monde ottoman. 267Matthieu ReyRutledge Ian, Enemy on the Euphrates The British Occupation of Iraq and the Great Arab Revolt, 1914-1920, Londres, Saqi, 2014, 471 p., 20 ÂŁ268Un Ă©trange paradoxe ouvre cette vaste fresque de lâIrak au cours de la PremiĂšre Guerre mondiale alors que le soulĂšvement de 1920 constitue le point de dĂ©part des Ă©tudes historiques irakiennes pour de nombreux chercheurs du Moyen-Orient, lâĂ©pisode est mĂ©connu, pour ne pas dire ignorĂ© du public, universitaire ou non, en Occident. Câest donc une page originale de la guerre et de ses suites que lâauteur souhaite Ă©crire avec force de dĂ©tails. DâemblĂ©e, de grandes figures, comme le conseiller britannique de la couronne Mark Sykes parcourant Ă la fin des annĂ©es 1900 un Orient arabe dont il dĂ©couvre les richesses naturelles et les rĂ©alitĂ©s tribales, incarnent le rĂ©cit historique qui revient sur la rencontre de deux dynamiques antagonistes celle dâarmĂ©es britanniques sĂ»res dâune avancĂ©e rapide en terre ottomane, et celle de populations locales, appelĂ©es au jihad, se soulevant contre le nouvel occupant Ă©tranger. 269Les trente-quatre chapitres qui charpentent lâouvrage suivent un agencement chronologique rigoureux et se divisent en deux parties les deux grandes pĂ©riodes de la guerre et de ses sorties. Dans la premiĂšre partie, lâauteur porte une attention particuliĂšre aux connaissances britanniques sur le terrain. DĂšs 1908, les Britanniques apprennent lâexistence de gisements dâhydrocarbures dans la rĂ©gion de Mossoul. Pendant la guerre, une convergence dâintĂ©rĂȘts rapproche des dĂ©cideurs et dĂ©termine les stratĂ©gies Winston Churchill, qui demande Ă la Navy dâadopter la propulsion par pĂ©trole, sâentend avec sir Maurice, qui dĂ©fend les intĂ©rĂȘts Ă©conomiques spĂ©cifiques de la Grande-Bretagne dans la rĂ©gion du Golfe, tous deux accrĂ©ditant les projets de Mark Sykes. Lâauteur fait une large place aux conflits intrabritanniques, avec les oppositions entre Piercy Cox et Mark Sykes, pour montrer les incertitudes des ambitions britanniques. Dans une seconde partie, il sâattache Ă un suivi extrĂȘmement mĂ©ticuleux des alliances locales entre tribus et chefs urbains, de lâĂ©mergence de figures irakiennes et de leur disparition, mĂȘlant la grande histoire le jihad contre les Britanniques, lâinsurrection des villes irakiennes aprĂšs la guerre et la petite la mort du garant arabe de la rĂ©volte conduite par le chĂ©rif Hussein. Ce livre offre indĂ©niablement le meilleur tableau de la composition et des mouvements des forces en prĂ©sence en Irak au cours de lâĂ©pisode trouble de lâinsurrection de 1920. 270Notons le parti pris de lâauteur qui se focalise sur les questions dâhydrocarbures. Si celles-ci constituent un enjeu de la guerre et de ses sorties, leur prĂ©sentation peut laisser penser au lecteur que le pĂ©trole est le nerf de la guerre mĂ©sopotamienne pour les Britanniques, alors mĂȘme quâil nâa pas pris encore toute son importance stratĂ©gique. En outre, lâauteur, ignorant les travaux de Pierre-Jean Luizard, ne montre pas lâeffervescence religieuse qui accompagne la mobilisation chiite. Hormis ces deux correctifs, ce livre se lit trĂšs aisĂ©ment en raison de lâentrecroisement de portraits et donne accĂšs Ă une rĂ©alitĂ© peu connue la guerre mĂ©sopotamienne des Britanniques entre 1914 et 1918. 271Matthieu ReyLâEurope mĂ©dianeBene KrisztiĂĄn et Ferenc David dir., Entre coopĂ©ration et antagonismes les dimensions des relations franco-hongroises, de lâĂ©poque moderne Ă lâintĂ©gration europĂ©enne. Actes du colloque international dâhistoire de lâUniversitĂ© de PĂ©cs, 13 mars 2013, Talmont-saint-Hilaire, Ăd. Codex/UniversitĂ© de PĂ©cs, Dialogue, 1 », 2014, 166 p., 20 âŹ272LâUniversitĂ© de PĂ©cs, en Hongrie, avec le soutien de lâInstitut français de Budapest, de lâAcadĂ©mie hongroise des sciences et de lâUniversitĂ© nationale hongroise du service public, a publiĂ© le premier numĂ©ro dâune collection vouĂ©e Ă accueillir les avancĂ©es de la recherche sur les relations entre la Hongrie et la France et, de maniĂšre plus gĂ©nĂ©rale, le monde francophone. 273Ce premier numĂ©ro est consacrĂ© Ă la publication des actes dâun colloque rĂ©alisĂ© avec le soutien des mĂȘmes institutions, et qui a permis de croiser les regards de chercheurs aussi bien français que hongrois. Y sont abordĂ©s des Ă©pisodes connus, comme la pĂ©riode qui a entourĂ© le traitĂ© de Trianon, mais aussi des moments moins Ă©tudiĂ©s, grĂące Ă lâouverture des archives pour la pĂ©riode contemporaine, des annĂ©es 1970 aux annĂ©es 1980. Ce volume sâinscrit, Ă cet Ă©gard, dans le mouvement de renouvellement historiographique sur les rapports franco-hongrois, et plus largement sur le rapport de la France Ă lâEurope mĂ©diane. 274Le choix dâune couverture chronologique aussi large que possible a Ă©tĂ© retenu. Une contribution fait ainsi le point sur lâapport des hussards en France, considĂ©rĂ©s comme un des premiers facteurs de contact avec la Hongrie. Une autre sâattache aux guerres napolĂ©oniennes, mais sous un angle double outre les affrontements militaires, la question du mĂ©morial Ă©difiĂ© Ă PĂ©cs en mĂ©moire des soldats de la Grande ArmĂ©e permet en effet dâapprofondir lâĂ©tude de la tendance francophile dans lâintelligentsia hongroise avant la PremiĂšre Guerre mondiale. Le dĂ©ficit de connaissances françaises sur la Hongrie est, lui, rappelĂ© Ă travers lâanalyse des articles consacrĂ©s Ă ce pays dans la Revue de Paris. La pĂ©riode de la PremiĂšre Ă la Seconde Guerre mondiale donne lieu Ă plusieurs contributions, dont une sur le traitĂ© de Trianon, et une sur un Ă©pisode moins connu du grand public, Ă savoir les accords de Bled, avec la pĂ©riode des annĂ©es 1930 et le dĂ©litement de la politique française en Europe centrale. LâĂ©tude de lâaction des services de renseignement hongrois permet aussi de nuancer lâimage parfois donnĂ©e des rapports bilatĂ©raux. Si le cadre du colloque nâa pas permis dâanalyser plus amplement la pĂ©riode communiste, un article des varia est consacrĂ© Ă lâhistoire littĂ©raire Ă lâĂ©poque du kadarisme. Les deux derniĂšres contributions portent, enfin, sur lâun des moments considĂ©rĂ©s comme les plus importants, Ă savoir le double septennat de François Mitterrand, et sur lâĂ©tat des relations franco-hongroises aujourdâhui, dans le cadre de lâintĂ©gration europĂ©enne. 275Pierre BouillonEngelking Barbara, Jest jak piÄkny sĆoneczny dzieĆ⊠Losy Ć»ydĂłw szukajÄ
cych ratunku na wsi polskiej, 1942-1945 Il fait si beau aujourdâhui destins de juifs cherchant de lâaide dans la campagne polonaise, 1942-1945, Varsovie, Stowarzyszenie Centrum BadaĆ nad ZagĆadÄ
Ć»ydĂłw, 2011 ; trad. fr., id., On ne veut rien vous prendre⊠seulement la vie » des Juifs cachĂ©s dans les campagnes polonaises, 1942-1945, trad. du pol. par Xavier Chantry, Paris, Calmann-Levy/MĂ©morial de la Shoah, 2015, 334 p., 24,90 âŹ276La traduction du livre de Barbara Engelking, directrice Ă Varsovie du Centre de recherches sur lâextermination des juifs, vient Ă point nommĂ© pour faire connaĂźtre en France le renouvellement historiographique sur la Shoah dans les campagnes polonaises. DĂ©jĂ Ă lâĂ©chelle locale, lâhistorien Jan Grabowski avait Ă©tudiĂ© le sort de la population juive dans un canton rural, pendant et aprĂšs lâAktion Reinhardt mars 1942-octobre 1943 visant Ă la destruction systĂ©matique du judaĂŻsme polonais, par la liquidation des ghettos, la dĂ©portation vers les centres de mises Ă mort et les assassinats de masse [17]. Il avait conclu Ă lâisolement de la population juive au milieu de leurs voisins polonais qui majoritairement refusĂšrent de les aider, voire pour certains participĂšrent plus ou moins activement Ă la chasse au juif », une phase moins connue de lâhistoire de la Shoah, Ă©clairĂ©e par ce travail. 277Barbara Engelking parvient aux mĂȘmes conclusions, Ă lâĂ©chelle de lâensemble du monde rural polonais cette fois-ci. Lâauteure a choisi, Ă partir de cinq cents tĂ©moignages de juifs rescapĂ©s de la Shoah, privilĂ©giant en majoritĂ© ceux recueillis dĂšs le lendemain de la guerre, ainsi que de trois cents actes de procĂšs faisant suite aux dĂ©crets dâaoĂ»t 1944, qui jugeaient les actes de collaboration avec lâennemi allemand pendant la guerre, de donner le point de vue des juifs cachĂ©s ou tentant de se cacher dans les campagnes polonaises, pour Ă©chapper aux dĂ©portations et Ă la mort, entre 1942 et 1945. Elle essaie de dĂ©gager leurs motivations pour entreprendre de se cacher, leurs diffĂ©rentes stratĂ©gies, et va jusquâaux plus sombres recoins de ces histoires, avec de nombreuses citations Ă lâappui et insistant notamment sur les entreprises ayant Ă©chouĂ©, Ă savoir les juifs qui furent dĂ©noncĂ©s et arrĂȘtĂ©s, sinon directement tuĂ©s. 278Bien que le point de vue adoptĂ© et, partant, la construction mĂȘme de son ouvrage, soit celui de la victime juive, lâauteure, en psychologue, sâinterroge Ă©galement sur les motivations de ceux qui ont cachĂ© ou dĂ©noncĂ© ou tuĂ© ces juifs. Lâimmense intĂ©rĂȘt de cette succession de narrations commentĂ©es est de montrer la complexitĂ© de la situation on sort de la dichotomie Justes dĂ©sintĂ©ressĂ©s versus une poignĂ©e de dĂ©lateurs dĂ©pravĂ©s, pour entrer dans la zone grise » des juifs cachĂ©s le plus souvent en Ă©change de biens et, lorsque les moyens de dĂ©dommagement arrivent Ă Ă©puisement rapidement tant les sommes exigĂ©es Ă©taient exorbitantes les juifs cachĂ©s Ă©taient au mieux expulsĂ©s, au pire dĂ©noncĂ©s Ă la police polonaise ou aux gendarmes allemands, voire parfois mĂȘme tuĂ©s de la main mĂȘme de leur hĂŽte. Se dessine aussi, en creux, le portrait dâune campagne oĂč les portes se fermĂšrent aux juifs demandant asile ou simplement Ă manger, et oĂč des voisins en dĂ©noncĂšrent dâautres qui cachaient des juifs, et ce pour des motifs plus ou moins clairs querelle de voisinage, jalousies, sentiment dâinjustice de voir lâautre sâenrichir, appĂąt du gain de la rĂ©compense en cas de dĂ©nonciation ou, bien souvent aussi, la peur des reprĂ©sailles collectives. 279LâoriginalitĂ© de cet ouvrage rĂ©side enfin dans son Ă©criture mĂȘme, plaçant le lecteur au centre dâune sorte de jeu de rĂŽle oĂč, Ă lâinstar du juif traquĂ©, il est tour Ă tour confrontĂ© aux choix qui sâoffrent Ă lui dans son errance Ă travers un dĂ©sert humain au sens propre â absence dâaide, ballottement dâune personne Ă lâautre avec, toujours, cette nĂ©cessitĂ© de recommencer les mĂȘmes dĂ©marches â comme au sens psychologique â vain espoir de comprĂ©hension, mais aussi perte de la confiance rĂ©confortante en autrui » p. 54. Au lieu de tenir Ă distance la souffrance de ces histoires, elle vise au contraire Ă les intĂ©rioriser. Ce faisant, elle sâĂ©carte aussi dâune historiographie plus classique, pour davantage impliquer le lecteur, lâempĂȘcher de demeurer indiffĂ©rent et lui poser la mĂȘme question quâelle se pose elle-mĂȘme en conclusion, celle de son impuissance face au problĂšme de lâaccomplissement du mal comme face au mystĂšre de lâexpĂ©rience de la souffrance » p. 254. 280Audrey KichelewskiHistoires comparĂ©e et mondialeBaudouin Jean et Bruneteau Bernard dir., Le Totalitarisme un concept et ses usages, Rennes, Presses universitaires de Rennes, Essais », 2014, 212 p., 18 âŹ281Cet ouvrage rassemble onze auteurs dont les textes sâinscrivent dans deux parties. Lâune est dĂ©diĂ©e Ă lâĂ©tude du statut du totalitarisme en histoire Marc Lazar, dans la science politique française Jean Baudouin et amĂ©ricaine des annĂ©es 1960 et 1970 Thuriane SĂ©veno, en philosophie politique FrĂ©dĂ©ric Lambert, en droit Jacky Hummel, statut ayant oscillĂ© entre pleine reconnaissance de sa valeur heuristique et rejet. La seconde partie examine lâutilisation du totalitarisme dans lâhistoriographie dâobjets singuliers le fascisme italien Marie-Anne Matard-Bonucci, la RDA Chantal Metzger et Emmanuel Droit, le nazisme Rainer Hudemann et lâURSS stalinienne Jean-Paul Depretto. Bien que lâapproche du concept varie parfois selon les auteurs, tous le considĂšrent comme un outil opĂ©ratoire de leur discipline et de leurs recherches. 282Le livre rappelle les controverses ayant entourĂ© le concept et en sonde les raisons. Certaines dâentre elles sont liĂ©es Ă ses usages politiques il fut instrumentalisĂ© au cours de plusieurs pĂ©riodes, notamment pendant les annĂ©es 1950 et 1960 par les tenants de lâanticommunisme. Dâautres renvoient Ă des motifs scientifiques. Selon des historiens et des politistes se rĂ©clamant dâune approche sociale, la rĂ©alitĂ© des faits et lâautonomie du social rendent le concept non opĂ©ratoire câest la position de lâĂ©cole rĂ©visionniste amĂ©ricaine des annĂ©es 1970 et 1980 Ă propos de lâĂ©tude de lâURSS de Staline, dâhistoriens travaillant sur les dĂ©mocraties populaires, la RDA en particulier, dâhistoriens du nazisme. 283Câest Ă©galement la comparaison, Ă lâaune du concept de totalitarisme, entre nazisme et communisme qui est tenue pour illĂ©gitime au regard non seulement de facteurs mĂ©thodologiques â dissymĂ©trie des historiographies et de lâaccĂšs Ă leurs sources respectives au moins jusquâen 1991 â, mais aussi de facteurs politiques et dâun diffĂ©rentiel de mĂ©moire entre les deux phĂ©nomĂšnes. 284Afin de parer aux critiques Ă son endroit et de lĂ©gitimer son usage dans la recherche, Bernard Bruneteau cible, dans son texte introductif, les dĂ©marches Ă observer, en insistant particuliĂšrement sur lâhistorisation du concept de totalitarisme. Toute analyse dâun rĂ©gime totalitaire doit mettre en relief la notion dâexpĂ©rience, car le totalitarisme est un processus continu fondĂ© sur une dynamique rĂ©volutionnaire. Par ailleurs, si chaque expĂ©rience totalitaire est singuliĂšre, elle doit ĂȘtre replacĂ©e dans un contexte historique global qui a créé les conditions de lâĂ©mergence de rĂ©gimes politiques nouveaux au lendemain de la PremiĂšre Guerre mondiale. Il convient ensuite de dĂ©gager, par-delĂ leurs origines et rĂ©fĂ©rences respectives quâil ne sâagit pas de nier, les structures et fonctions semblables des idĂ©ologies totalitaires ; enfin de considĂ©rer comme matrice du fonctionnement des rĂ©gimes totalitaires la violence du pouvoir. 285Comme lâaffirme Bernard Bruneteau, lâobjet du livre nâest pas de poser les bases dâune nouvelle big theory » du totalitarisme, mais dâen faire usage pour interprĂ©ter le 20e siĂšcle. 286Olivier ForlinKouamĂ© Nathalie dir., Historiographies dâailleurs comment Ă©crit-on lâhistoire en dehors du monde occidental ?, Paris, Karthala, 2014, 303 p., 21 âŹ287Ce livre collectif dirigĂ© par Nathalie KouamĂ©, spĂ©cialiste de lâhistoire de lâAsie, professeure Ă lâUniversitĂ© Paris-VII, est le fruit dâun travail de plusieurs annĂ©es engagĂ© par de nombreux chercheurs issus de divers horizons scientifiques et institutionnels, qui sâest traduit par une trentaine de confĂ©rences organisĂ©es Ă Paris de 2010 Ă 2013. Ambitionnant de proposer une vision dĂ©centrĂ©e de lâhistoriographie mondiale, autre que lâhistoriographie occidentale qui sâest imposĂ©e dans le monde depuis le 19e siĂšcle, les auteurs prĂ©sentent des Ă©tudes monographiques sur diffĂ©rentes façons de faire de lâhistoire dans les aires extra-occidentales depuis lâAntiquitĂ©. 288Les contributions, trĂšs stimulantes, Ă©crites par des chercheurs spĂ©cialistes reconnus de leurs sujets, prĂ©sentent le travail dâhistoriens des Suds, et sont classĂ©es par ordre du soutien le plus fort Ă la contestation la plus ouverte des historiographes Ă©tudiĂ©s avec le pouvoir en place dans leurs pays respectifs Ă leurs Ă©poques. Ainsi, le volume commence par Ă©voquer le cas dâauteurs dont le rĂ©cit sur lâhistoire vise Ă cĂ©lĂ©brer un pouvoir, comme avec le cas de Tun Sri Lanang, rĂ©dacteur dâune histoire des Malais » visant Ă exalter la lignĂ©e des sultans de Johore, cas Ă©tudiĂ© par Romain Bertrand. Ensuite, le volume prĂ©sente des historiens qui ont choisi dâadhĂ©rer aux pouvoirs en place câest le cas de lâhistorien sierra-lĂ©onais Sibthorpe qui a souscrit aux valeurs du pouvoir britannique qui dominait son pays, cas Ă©tudiĂ© par Odile Goerg. Puis, le livre prĂ©sente les situations de savants sâattachant Ă conseiller les pouvoirs en place, comme les rĂ©dacteurs de monographies dâhistoire-gĂ©ographie locale dans la Chine et le Japon ancien, pour renseigner le pouvoir central sur les diffĂ©rentes parties de lâEmpire, Ă©tudiĂ©s par Nathalie KouamĂ© et Vincent Goossaert. Enfin, lâouvrage prĂ©sente le travail dâhistoriens qui sâattachent Ă critiquer le pouvoir, comme dans le chapitre Ă©crit par Ăric Meyer sur lâIndien Bankim Chandra Chatterjee lâun des premiers diplĂŽmĂ©s de lâUniversitĂ© de Calcutta au 19e siĂšcle, qui a popularisĂ© le vieux terme sanscrit itihasa, histoire, lâinvestissant dâun sens prophĂ©tique, et a créé le terme dâhindutwa, hindouitĂ© et son compatriote Romesh Chandra Dutt ; tous deux, sous la domination britannique, se sont distanciĂ©s de lâhistoriographie coloniale de lâInde. Jacques Pouchepadass Ă©tudie le cas, plus rĂ©cent, de lâIndien Ranajit Guha qui, dans les annĂ©es 1970-1980, a rejetĂ© lâhistoriographie nationaliste dominante en Inde et a fondĂ© les subaltern studies ; ce courant se situe dans le sillage dâAntonio Gramsci, introducteur du terme subalterne » dans la pensĂ©e marxiste. 289Le volume se clĂŽt sur une Ă©tude intĂ©ressante de Catherine Coquery-Vidrovitch qui montre comment les historiens africains ayant contribuĂ© Ă lâHistoire gĂ©nĂ©rale de lâAfrique de lâUnesco ont voulu sâaffranchir du regard occidental sur leur continent. Ce projet entamĂ© en 1964 a vu son achĂšvement en 2014 avec la parution dâun neuviĂšme volume. Il prouve la vigueur de lâhistoriographie africaine dĂšs les annĂ©es ayant suivi les indĂ©pendances, aussi bien du cĂŽtĂ© anglophone avec les Ă©coles dâIbadan et de Dar es Salaam que du cĂŽtĂ© francophone avec le SĂ©nĂ©galais Cheikh Anta Diop et le Burkinabe Joseph Ki-Zerbo. Les coordinateurs des volumes de lâHistoire gĂ©nĂ©rale de lâAfrique ont souvent privilĂ©giĂ© une optique engagĂ©e, comme le GhanĂ©en Adu Boahen qui a choisi comme ligne directrice du sixiĂšme volume la rĂ©sistance des peuples africains au pouvoir colonial. 290Au total, ce livre rigoureux et Ă©rudit, qui nous fait voyager de lâAsie Ă Madagascar et dâIsraĂ«l Ă lâAmĂ©rique latine en passant par lâAfrique subsaharienne, est trĂšs intĂ©ressant et sa dĂ©marche peut ĂȘtre saluĂ©e comme une contribution de valeur Ă lâhistoire mondiale. 291ChloĂ© Maurel Notes [1] Olivier Lalieu, La Zone grise ? La RĂ©sistance française Ă Buchenwald, Paris, Tallandier, 2005. [2] Voir Christopher Clark, The Sleepwalkers How Europe Went to War in 1914, New York, Harper, 2013 ; trad. fr., id., Les Somnambules, trad. de lâangl. par Marie-Anne de BĂ©ru, Paris, Flammarion, 2013. [3] Jacques Julliard, Les Gauches françaises, 1762-2012 histoire, politique et imaginaire, Paris, Flammarion, 2012. [4] RĂ©mi Darfeuil, Le communisme rural en Haute-Vienne », mĂ©moire de maĂźtrise, UniversitĂ© Paris-X, 1999. [5] Laird Boswell, Rural Communism in France 1920-1939, Ithaca, Cornell University Press, 1998. [6] JĂ©rĂŽme Krop, Les fondateurs de lâĂ©cole du peuple corps enseignants, institution scolaire et sociĂ©tĂ© urbaine 1870-1920 », thĂšse de doctorat en histoire, sous la direction de Jean-NoĂ«l Luc, UniversitĂ© Paris-IV, 2012. [7] JĂ©rĂŽme Kropp, La PremiĂšre GĂ©nĂ©ration des instituteurs rĂ©publicains dans la Seine 1870-1920, Paris, Ăd. du CTHS, Ă paraĂźtre. [8] Ăric Mension-Rigau, Aristocrates et grands bourgeois Ă©ducation, traditions, valeurs, Paris, Hachette littĂ©ratures, Pluriel », 1996, Perrin, Tempus », 2007 ; id., LâEnfance au chĂąteau lâĂ©ducation familiale des Ă©lites françaises au xxe siĂšcle, Paris, Rivages, Histoire », 1990. [9] Jacques Julliard, Clemenceau, briseur de grĂšves, Paris, Julliard, 1965. [10] Alain Corbin, Le Miasme et la Jonquille lâodorat et lâimaginaire social, xviiie-xixe siĂšcle, Paris, Aubier-Montaigne, 1982. [11] Damiano Matasci, LâĂcole rĂ©publicaine et lâĂ©tranger une histoire internationale des rĂ©formes scolaires en France, 1870-1914, Lyon, ENS Ă©ditions, 2015. [12] Luc Capdevila et FrĂ©dĂ©rique Langue dir., Entre mĂ©moire collective et histoire officielle lâhistoire du temps prĂ©sent en AmĂ©rique latine, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2009. [13] Anne-Claude Ambroise-Rendu, Anne-Emmanuelle Demartini, HĂ©lĂšne Eck et Nicole Edelman dir., Ămotions contemporaines xixe-xxie siĂšcles, Paris, Armand Colin, 2014 ; Histoire des sensibilitĂ©s au 20e siĂšcle », numĂ©ro spĂ©cial dirigĂ© par Christophe Granger, VingtiĂšme SiĂšcle. Revue dâhistoire, juillet-septembre 123, 2014. [14] Tierno MonĂ©membo, CinĂ©ma, Paris, Ăd. du Seuil, 1997. [15] Florence Bernault, Enfermement, prison et chĂątiment en Afrique du 19e siĂšcle Ă nos jours, Paris, Karthala, 1999. [16] Olivier Le Cour Grandmaison, De lâindigĂ©nat anatomie dâun monstre » juridique, Paris, La DĂ©couverte, 2010. [17] Jan Grabowski, Hunt for the Jews Betrayal and Murder in German-Occupied Poland, Bloomington, Indiana University Press, 2013.
combien de moyenne pour rentrer a la sorbonne